La Nièvre en fête n’a pas déchanté sous la pluie. Les pieds dans l’eau mais la tête tournée vers un horizon bien dégagé, des centaines de personnes ont conclu le troisième chapitre de l’épopée citoyenne Imagine la Nièvre !, le 8 juin sur la base de loisirs de l’étang de Baye. Entre les spectacles de rue et les allées du village des partenaires et des producteurs, les débats ont vu s’épanouir un optimisme plus raisonné que béat et la conviction que la Nièvre a en main tous les atouts pour faire fleurir les espoirs d’ici et d’ailleurs.
Sous une pluie continue de 13 h à 21 h, la troisième édition de La Nièvre en fête, la conclusion rituelle et annuelle d’Imagine la Nièvre !, a gardé au sec la motivation et le goût du débat parmi les centaines de participants de tous âges qui ont afflué de tout le département jusqu’à la base de loisirs de l’étang de Baye, samedi 8 juin.
Des trombes et de l’imagination, le cocktail aurait sans doute plu au philosophe Gaston Bachelard, dont l’essai L’Eau et les rêves questionnait « l’imagination de la matière ». Ouvrant la journée, le spectacle Icy Plage de la compagnie Kartoffeln creusait en chorégraphies de plus en plus folles le potentiel loufoque et onirique du farniente sur sable. « La vie réelle se porte mieux si on lui donne ses justes vacances d’irréalité », écrivait Gaston Bachelard en 1942, année troublée. Si 2024 n’a pas les mêmes tensions dramatiques, l’actualité invitait à la rêverie, à la détente, au pas de côté. Le programme de cette troisième Nièvre en fête faisait la part belle au spectacle vivant, vivifiant.
L’Eau et les rêves, encore : « L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité. Elle est une faculté de surhumanité. » Depuis deux ans et demi, l’imagination collective irrigue la réflexion du Conseil départemental. Les rencontres de 2022 ont défini 30 engagements que les élus et les services souhaitent réaliser d’ici la fin du mandat.
« Et si la Nièvre devenait tendance ? »
Placée en première ligne des préoccupations, la jeunesse est devenue le fil rouge des rencontres de 2023, 2024, et le restera pour les prochaines années. Et, avec elle, l’envie de renverser la table, d’inverser le déclin constaté depuis des décennies : « Pour la première fois, en 2024, la Nièvre ne perd pas d’habitants », souligne Fabien Bazin, président du Conseil départemental et déclencheur d’Imagine la Nièvre !. « On est un des départements ruraux les mieux fibrés, on sera ouvert sur Lyon en 2025 avec la fin de la mise à deux fois deux voies de l’A77, l’USON Nevers Rugby nous fait connaître partout en France. Et si la Nièvre devenait tendance ? C’est possible, parce que le monde est devenu tellement compliqué que les énergies individuelles, citoyennes, peuvent tout changer. Et on le sent dans toutes les rencontres, il y a une énergie assez formidable dans le département, ça bouillonne. »
L’Observatoire des citoyens, scrutateur des 30 engagements et de leur réalisation, ou la Bande des moins jeunes, collectif d’adultes offrant leur aide aux jeunes en quête de repères, incarnent « le pouvoir d’agir » retrouvé. Un des participants voit dans cette citoyenneté 2.0 une force paradoxale de la Nièvre : « Comme le dit un copain, « dans la Nièvre, on a un retard d’avance » (rires). On a aussi une entraide naturelle, c’est la ruralité qui veut ça. Je ne sais pas si on doit devenir tendance, parce que pour moi ça veut dire ressembler à une « hype » (effet de mode) qui ne dure pas. Si je suis confiant pour l’avenir ? Ouais. Il le faut. Si on n’y croit pas, ça ne prendra jamais. »
Comme souvent, ce sont les néo-Nivernais qui posent le regard le plus enthousiaste sur leur département d’adoption : « On est surpris par l’engagement, par le gros tissu associatif », apprécie un artiste venu de Paris avec sa compagne, il y a deux ans, pour vivre dans le Morvan. « De l’extérieur, on ne sait pas qu’il y a un réseau associatif aussi important, une telle activité culturelle. » Le manque de communication est souligné par une Nivernaise partie vivre à Paris : « Les gens méconnaissent complètement le potentiel de leur territoire, ils ne valorisent pas les lieux, contrairement à ce qui se fait par exemple dans la Creuse. »
Longtemps miné par la « niévrose », le département montre pourtant les signes encourageants d’un fatalisme envoyé aux orties. En témoignent les cinq Territoires zéro chômeur de longue durée, qui réinventent en douceur le retour à l’emploi des damnés du chômage, ou la limpide fraternité de la Bande des moins jeunes dont Loïc illustre en quelques phrases l’efficacité sous les radars : « J’étais un peu réticent à venir, mais grâce à eux, j’ai eu ma formation de brancardier. Je les remercie. Je me sentais abandonné, au niveau social. » Les applaudissements crépitent, comme l’eau sur la toile du chapiteau. De l’espoir à petites touches, qui éclaire le tableau et adoucit l’horizon. Gaston Bachelard, pour la fin : « Imaginer, c’est hausser le réel d’un ton. »