Dans le Morvan, les Associations syndicales libres (ASL) sont les Mohicans de l’adduction d’eau potable. Un particularisme local hérité des années 1960-1970, quand l’eau courante arrivait dans certains villages et hameaux grâce à ces micro-réseaux citoyens rustiques mais efficaces – un captage, un réservoir, des canalisations. De ces temps épiques, il reste 65 associations qui alimentent 2 200 personnes dans 11 communes. À l’initiative du Conseil départemental, une rencontre a été organisée à Arleuf pour évoquer leur actualité et leur avenir, face aux enjeux du dérèglement climatique.
Avec son habitat dispersé en gouttelettes de villages et hameaux, sa géographie tourmentée de monts et de vaux, et son sous-sol granitique fertile en sources, le Morvan est passé à l’ère de l’eau courante en s’appuyant sur une constellation d’Associations syndicales libres (ASL), qui ont comblé les « zones blanches » de l’alimentation en eau potable. À l’échelle d’une commune, parfois d’un hameau, ces pionniers ont créé des réseaux minimalistes dans les années 1960 (voir encadré), dont la plupart sont toujours actifs, et essentiels, soixante ans plus tard.
Dans le Morvan, 65 Associations syndicales libres continuent à alimenter 2 200 personnes, selon le recensement mené par le service Eau du Conseil départemental. Leur fonctionnement, purement bénévole, repose sur la mobilisation – et la motivation – des habitants. Nombre de ces ASL ont répondu à l’invitation du Conseil départemental, pour une réunion d’information et d’échanges qui s’est tenue dans la salle des fêtes d’Arleuf, l’une des trois communes morvandelles intégralement couverte par ces micro-syndicats d’alimentation en eau potable. « Les équipes se renouvellent dans les Associations syndicales libres », apprécie Fabien Bazin, président du Conseil départemental. « On s’engage pour gérer l’eau comme on s’engage pour gérer sa commune. »
Ce fonctionnement, singulier, est passé sous les radars de la loi qui prévoit de transférer les compétences eau et assainissement des communes aux intercommunalités au 1er janvier 2026. Non seulement les ASL ne sont pas concernées par ce transfert, mais la continuité de leur existence est vivement encouragée. « Les communes n’ont pas forcément envie de récupérer leur patrimoine ni de devoir couper l’eau aux habitants concernés », explique un des intervenants. « À partir du moment où une ASL fonctionne bien, il n’y a aucune raison pour qu’elle disparaisse. Ttrouver une solution, c’est compliqué, alors elles sont censées perdurer. »
Étudiante à Rennes, Lena Dell’Aquila s’est penchée sur le fonctionnement de ces associations : « Elles n’ont pas de souci de renouvellement de leurs bénévoles. On voit qu’il y a un goût pour la transmission des savoirs, une passion de la gestion de l’eau. » Une gestion qui doit s’effectuer dans les règles de l’art, et de l’ARS (Agence régionale de santé), comme l’a souligné Carolyne Goin, responsable de l’unité Santé-Environnement de la Nièvre : « Le président d’une ASL est le premier responsable de la surveillance de la qualité de l’eau. C’est lui qui doit assurer le contrôle de premier niveau. Et même si une eau est de très bonne qualité, il faut la désinfecter, car elle passe dans des canalisations et des réservoirs qui sont anciens. » Le bilan est plus que satisfaisant, a-t-elle assuré : « Sur la qualité bactériologique, on est à 95 % de conformité ; l’ensemble de la Nièvre est à 98 %. Il y a eu dix non-conformités en trois ans, en raison d’un manque de chlore. » La représentante de l’ARS a également alerté sur la présence du radon, un gaz radioactif naturel issu de la désintégration de l’uranium niché dans le granit : « 38 ASL sont concernées. »
Attentifs à la qualité, les responsables des ASL doivent aussi veiller à la quantité, de plus en plus incertaine avec le dérèglement climatique. « Sur notre captage, on a perdu 10 % de débit en cinq ans. », pointe l’un d’entre eux. « Les étiages sont longs, intenses, mais globalement, il tombe toujours la même quantité d’eau sur le Morvan, environ 1 200 mm par an », explique François Thomas, chef du service Eau du Département. « Si l’on analyse l’évolution des débits depuis 1973, on voit qu’ils baissent plus qu’avant durant l’été, ce qui est rattrapé par des épisodes assez forts en hiver. À l’avenir, il y aura plus d’eau dans le nord de la France, et moins dans le sud. Nous, on est entre les deux, alors on ne sait pas. Du moins, on sait qu’on ne sait pas. On sait juste qu’il faut prendre des précautions : économiser l’eau, créer des interconnexions des réseaux quand c’est possible. » Sobriété, solidarité, responsabilité : les résolutions valables pour tous les réseaux d’eau seront les mêmes pour les Associations syndicales libres.