Agriculteur (et maire) de Pougny, Thierry Beauvais s’est tourné depuis 2015 vers l’agriculture de conservation des sols. Ne pas travailler la terre, laisser un couvert végétal pour garder l’eau dans le sol, réduire les intrants : à rebours du labour et de la « terre propre », l’approche est un « bouleversement pour un agriculteur », heureux de voir revenir la biodiversité dans ses champs, et conscient qu’avec le changement climatique et son cortège de sécheresses et de canicules, son métier n’a pas fini de changer.
Sur sa ferme, entre plateaux calcaires et vallées à l’est de Cosne-sur-Loire, Thierry Beauvais a une vue panoramique sur le changement climatique et ses conséquences : les fortes chaleurs qui frappent dès avril-mai, l’irrigation à démarrer avec un mois d’avance, le bétail à abreuver, l’hiver chiche en pluie. « 65 mm en janvier, 12 en février », égrenait-il début juin dans sa mairie de Pougny. « Là, on est à 262 mm en 2023. Normalement, une année, c’est 700 mm. »
Les variations de la pluviométrie et, par ricochet, la menace sur la ressource en eau sont devenues d’improbables préoccupations dans la Nièvre : « Le vert pays des eaux vives sèche vite », sourit amèrement l’agriculteur installé en 2008 en tant que salarié gérant, et qui a opéré en 2015 un virage radical vers l’agriculture de conservation des sols : « Avant, j’étais en conventionnel, mais plus ça allait, plus on mettait de chimie, et moins j’avais de rendement. »
A l’affût d’alternatives, il entend parler d’une autre approche, à base de couvert végétal permanent sur la terre, et de semis direct, sans travail du sol. « C’est un bouleversement pour un agriculteur, quand on a l’habitude de la terre propre, des labours qui font des nuages de poussière qui se voient à 10 km. »
Curieux, Thierry Beauvais se documente d’abord avec « les DVD d’un gars qui faisait de l’agriculture de conservation des sols depuis 30 ans », puis intègre le groupe national Magellan, où les adeptes partagent leur savoir et leurs expériences : « On est une quarantaine de membres dans la Nièvre. Je travaille aussi avec l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et Terres Inovia (institut des huiles et protéines végétales et du chanvre, NDLR). »
« Plus on laisse le sol à couvert, plus il est bon »
À son échelle, Thierry Beauvais voit les effets de la conservation des sols : « Je ne travaille pas mon sol, je laisse un mulch en surface, et le couvert végétal garde l’eau du sol. Plus on laisse le sol à couvert, plus il est bon. Ça m’est apparu comme une évidence. Les racines travaillent le sol, on limite l’érosion, et la biodiversité revient. Je remets des haies, aussi, pour retenir l’eau ; en 2022, j’ai planté 4 km, avec l’aide du Plan de relance. Cela fait deux ans que je vois des nichées de faisans, des lièvres, des perdrix, des cailles. Je coupe la paille plus haut pour que la faune se développe. »
Avec Magellan, l’INRAE et Terres Inovia, Thierry Beauvais se concentre depuis quelques années sur un autre enjeu, dicté par le changement climatique : ménager la ressource en eau. Son forage, profond de 65 m, puise l’eau dans la nappe du Nohain et du Mazou : « J’ai une autorisation pour 100 000 m³ par an, mais j’en utilise 80 000 à 90 000 m³, pas plus. Ça m’arrive même de rejeter de l’eau dans la rivière. Je suis toujours en quête de cultures moins gourmandes en eau », explique-t-il. « J’ai 30% de ma surface de céréales qui sont irrigables. Maintenant, il faut commencer à irriguer en juin, alors qu’avant c’était en juillet. J’ai toujours vu les cultures prendre chaud en juin, deux ou trois jours ; maintenant, ça arrive aussi en mai, et même en avril. »
Lentilles et féveroles ont fait leur apparition sur ses terres, tandis que le maïs est détrôné depuis deux ans par le tournesol et le chanvre grain, dont la paille est utilisée pour le textile et les graines pour la médecine et le bien-être. Passer au millet et au sorgho ? « Le problème, c’est de trouver des coopératives qui achètent ces cultures à un bon prix. »
« Tout ce qu’on a appris, il faudra l’oublier pour trouver de nouvelles pistes »
Thierry Beauvais en est persuadé, le changement climatique impose un changement de paradigme qu’il vaut mieux anticiper que subir : « Tout ce qu’on a appris, il faudra l’oublier pour trouver de nouvelles pistes. Trouver des cultures qui vont remplacer le maïs. Mais c’est sûr que s’adapter au manque d’eau va être difficile. L’être humain s’est souvent adapté, alors on trouvera, j’en suis convaincu. » Avec satisfaction, il note que ses collègues agriculteurs s’intéressent de plus en plus à la conservation des sols : « On était 12 dans le groupe Magellan en 2015, aujourd’hui on est 40. On voit des jeunes nous rejoindre, mais aussi des plus vieux que moi. »
Sur son exploitation, l’agriculture de conservation des sols n’est pas le seul symptôme d’un changement qui fait bouger les fondations de la ruralité nivernaise. Dans ses prairies, les Highland Cattle, vaches à poil long et aux immenses cornes d’origine écossaise, remplacent depuis quelques années les charolaises : « J’ai commencé en 2017. J’avais un salarié qui partait en retraite, et à l’époque le prix des charolais n’était pas bon. J’ai acheté six Highland Cattle à Chaulgnes ; j’en ai 48 aujourd’hui. C’est une race qui est réputée pour la très grande qualité de sa viande. » Pour elles aussi, l’eau est devenue un enjeu : « J’ai la chance que mes prairies soient traversées par des rivières, mais je suis obligé de tirer de l’eau tous les étés pour les abreuver, alors qu’avant ça n’arrivait jamais. J’ai aussi investi dans un récupérateur d’eau de pluie, de 200 000 litres, mais ça ne suffit pas. »
Un défi collectif à l’échelle de la commune
Cohérent, Thierry Beauvais étend son engagement sur la ressource en eau à son travail de maire. À différents niveaux : « Pour le fleurissement de la commune, on trouve des végétaux pas trop demandeurs d’eau, des plantes qui résistent à la sécheresse. On n’arrose pas les espaces verts, et on remet des arbres partout où on peut. On fait du fauchage raisonné ; il ne s’agit pas de tondre dès qu’il y a trois brins d’herbe. » Dans le même esprit, le cabinet médical a été doté d’une toiture végétalisée par la municipalité, dont l’un des « gros projets » porte sur la réduction de l’artificialisation des sols : « On travaille avec le CAUE (Conseil en architecture, urbanisme et environnement, NDLR) sur la traversée du bourg. On veut en profiter pour rendre les sols plus perméables. »
Un tel combat n’a de sens et de poids que s’il est partagé par les habitants, selon Thierry Beauvais : « Cet automne, avec la Chambre d’agriculture, on va proposer une formation à la biodiversité pour le grand public. On y parlera d’eau, mais aussi d’insectes, d’arbres. Beaucoup de gens ne s’en rendent pas compte, ou ne veulent pas s’en rendre compte, mais tout le monde a un petit geste à faire. C’est vrai aussi pour la gestion des déchets ; ça fait partie de la chaîne. »