Première date, première rencontre : l’édition 2025 d’Imagine la jeunesse s’est ouverte, lundi 17 février, à La Charité-sur-Loire, dans un puissant mélange d’énergie, de lucidité et de sincérité. Un cadre nouveau pour des échanges riches sur des thématiques fortes, rarement abordées depuis 2022 : le racisme, le handicap, la précarité étudiante. Sans misérabilisme, mais portés par l’envie de s’en sortir et de maîtriser leur destin, les jeunes ont trouvé là une écoute et des pistes pour l’avenir grâce à la Bande des moins jeunes.
On entendrait une mouche voler dans les silences de Tristan. Dans la salle des fêtes de La Charité-sur-Loire, la centaine de personnes écoute le lycéen de 18 ans raconter, avec une calme franchise, son quotidien découpé en phrases tranchantes : « J’ai dû quitter le domicile familial. Je vis dans un Foyer de jeunes travailleurs, un appartement de 28 m². J’ai des rêves, des objectifs, mais je ne peux pas m’en occuper tout de suite. On est le 17 du mois, et il reste six centimes sur mon compte. J’essaie au moins de survivre, c’est déjà pas mal. Les rêves, ce sera pour plus tard. Si je passe cette étape. S’il n’y avait pas les 230 euros d’aide de la CAF, je serais à la rue. Le manque d’aide, c’est un frein pour les études. Je voudrais faire de la programmation, il y a une bonne école à Nevers, on m’en a dit du bien, mais c’est une école privée. Et les frais de scolarité, ce n’est pas donné. Ce que je ferai dans cinq ans ? Je ne sais pas. Si j’arrive à survivre à cette période, ça sera pas mal. »
Organisée pour la première fois à La Charité-sur-Loire, la rencontre citoyenne Imagine la jeunesse a exposé les angoisses d’une génération que n’épargnent pas les crises sociales. « On ne veut pas faire des grands discours, mais écouter ce que vous avez à nous dire de votre vie, de la Nièvre, de l’avenir que vous envisagez. On espère que vous serez très bavards », invitait en préambule Fabien Bazin, président du Conseil départemental et initiateur du dialogue citoyen Imagine la Nièvre. Premier à prendre la parole, Yassine, 17 ans, le prend au mot : « Je veux parler du racisme envers les jeunes. Sur le CV, si le nom ne correspond pas aux idées de l’employeur, c’est éliminatoire. Je l’ai vécu, des membres de ma famille aussi. Le seul moyen, malheureusement, c’est de mettre une fausse identité sur le CV pour avoir une chance de faire ses preuves en entretien. »
Venue de Cosne-sur-Loire, Nelly témoigne à son tour d’une autre stigmatisation : « J’ai toujours peur de donner mon nom et de dire que je fais partie des gens du voyage. On est des gens normaux. Moi, j’ai 32 ans, je travaille depuis mes 16 ans, j’ai fait tout et n’importe quoi, plein de petits CDD. Je voudrais que ça change, l’image des voleurs de poule, ça suffit, on est comme tout le monde. On vit sur un petit terrain, dans une zone, c’est bourré de rongeurs ; on le dit depuis huit ans, et jamais rien n’a été fait. »
Sans temps mort, les mains se lèvent, la parole circule, intense, piquante, dans un questions-réponses avec Blandine Delaporte, vice-présidente et conseillère départementale de La Charité-sur-Loire. Apparaît, comme dans une eau-forte, le panorama d’une jeunesse nivernaise entre ombres et lumières, peurs et espoirs. L’envie de vivre dans la Nièvre se confronte à un monde du travail jugé frileux face aux jeunes : « J’ai passé une licence d’arts plastiques, et j’ai de très grandes difficultés à trouver un emploi dans le secteur culturel. Il y a très peu d’offres, et elles ne sont pas accessibles aux jeunes », pointe Laura, de Nevers.
Menal a trouvé la parade en montant son entreprise de communication : « Je trouve que c’est pas mal de pouvoir discuter avec des gens de la Bande des moins jeunes, qui sont beaucoup plus expérimentés », apprécie la jeune femme, revenue dans la Nièvre après ses études, avec l’envie de s’engager pour « sortir de (sa) zone de confort ». Clarence, lycéenne à Cosne, déploie son enthousiasme, sa passion du breakdance et son bénévolat aux Restos du cœur. Digne et vibrante, Ophélie se fait la voix de ses deux enfants handicapés, l’aîné autiste, le cadet déficient, et le manque d’aides et de structures qui accentue la complexité de la vie : « Mon fils a 20 ans, on me dit d’attendre six à huit ans pour qu’il ait une place dans un foyer de vie. On est lâché dans la nature. Je ne demande pas la lune, mais avoir une heure ou deux pour souffler, mon mari et moi, on ne les a même pas. Et le pire, c’est que les gens vous jugent. Le respect, la tolérance, ça n’existe pas. »
« Le respect, ça commence par le fait de vous écouter », assure Fabien Bazin. « On ne va peut-être pas tout régler, mais tout ce que vous nous dites ce soir ne restera pas lettre morte. Le monde est beaucoup plus difficile que celui que l’on a connu à votre âge ; la guerre n’est pas loin. C’est la onzième réunion Imagine la jeunesse, et c’est la première où on parle de racisme. Je me souviens des débuts de SOS Racisme, il y a 40 ans. Dites-vous bien que quand vous, les jeunes, vous vous mettez en mouvement, vous pouvez renverser des montagnes. »
Après les prises de parole, la soirée se prolonge en particules de discussion semées dans la salle des fêtes. La dizaine de membres de la Bande des moins jeunes est assaillie de questions, apporte des premières réponses, des conseils, des pistes ; on s’échange les numéros, les mails, pour reprendre et développer, plus tard. Les sourires éclairent les visages, les regards. Venus témoigner, les jeunes repartent écoutés, compris.