Le 29 novembre, Fabien Bazin, président du Conseil départemental, est allé à Anthien rencontrer Xavier Charpentier et Christophe Chappé, deux éleveurs dont les troupeaux d’ovins ont subi des attaques de loup quelques nuits plus tôt. Il leur a remis des filets de protection, acquis par la collectivité, et il a surtout écouté leur inquiétude et leur désarroi face à un adversaire sans précédent ni équivalent. Une menace imprévisible, insaisissable et impitoyable, qui bouleverse leurs repères.
À l’approche du jour tombant, le panorama cueilli au hameau du Chemin, au-dessus d’Anthien, coupe le souffle. Une ample vallée aux pâtures vert profond, qui remonte doucement fermer l’horizon, déroulant une mosaïque de parcelles et de bosquets, les éclats d’un ruisseau, la grise et discrète géométrie des fermes aux cheminées fumantes. Le décor de carte postale, idyllique, bucolique, bordé par le chemin de Compostelle, fait sourire amèrement l’un de ses habitants, Xavier Charpentier, éleveur au Chemin, dessinant un grand cadre imaginaire dans l’air frais : « Il faudrait faire comme en Belgique, des grands panneaux de 4 mètres par 3 avec les photos de nos brebis attaquées par le loup. »
Deux nuits de suite, entre le 18 et le 20 novembre, une de ses parcelles, sur la commune voisine de Ruages, a été visitée par le loup : « Quatre tuées, une euthanasiée, sept blessées », liste l’éleveur d’ovins et de bovins. « J’ai 240 brebis charollaises et berrichonnes, et 30 vaches allaitantes, des aubrac. Enfin, j’avais 240 brebis. Là, je dois en avoir 200, parce qu’avant le loup, il y a eu la FCO (fièvre catarrhale ovine), qui m’en a tué aussi quatorze. Mais au moins, contre la FCO, il y a un vaccin. »
Huit jours après, à l’occasion de la visite sur son exploitation de Fabien Bazin, président du Conseil départemental, Xavier Charpentier est encore sous le choc, au même titre que son collègue Christophe Chappé, dont le troupeau d’ovins a été attaqué à Pouques-Lormes, dans la nuit du 20 au 21 novembre, probablement par le même loup : « Une bête tuée, trois euthanasiées, et 21 blessées », énumère le pur éleveur d’ovins. « Quand j’ai vu que c’était Christophe qui m’appelait, j’ai tout de suite compris pourquoi », explique Xavier Charpentier. « Et j’ai compris que notre vie avait changé. »
Depuis la première attaque, que les agents de l’Office français de la biodiversité sont venus attester comme étant LNE (« loup non écarté » dans la terminologie officielle), ce nouvel adversaire bouscule son quotidien : « Cela fait dix jours que je dors loup, je déjeune loup, je mange loup. Dès que j’ai un moment, je vais sur internet. Je veux essayer de comprendre. C’est un animal tellement intelligent, qui n’a pas la même logique que nous. Il y a deux ans, j’avais eu une attaque sur Anthien, mais je n’avais eu qu’une brebis tuée. Là, il massacre, et il en grignote juste une. Je n’ai jamais vu ça. »
Ébranlés, les deux hommes racontent à Fabien Bazin la complexité des soins apportés aux brebis blessées, les plaies profondes et multiples, le stress démultiplié, y compris chez les bêtes indemnes. Comme pour la plupart des éleveurs de cette région de la Nièvre, leurs exploitations sont morcelées en petites parcelles disséminées sur plusieurs communes : « J’ai 50 hectares, 39 parcelles sur cinq communes », précise Xavier Charpentier, tandis que les 400 brebis de Christophe Chappé sont réparties sur six communes. Impossible, dès lors, de mettre des filets de protection ou des chiens de troupeau partout.
« La seule protection efficace, ce serait de mettre tous nos animaux dans la bergerie, mais c’est à l’envers du bien-être animal. Nos bêtes sont faites pour vivre dehors », poursuit-il. « On est dans un territoire de plaine improtégeable, ça n’a rien à voir avec les éleveurs dans les massifs de montagne, qui ont des pâtures immenses. Ça remet en cause tout mon système d’élevage. Si la pression est trop forte, je réduirai mon troupeau d’ovins et j’augmenterai le nombre de bovins. »
La remise en cause est encore plus forte pour Christophe Chappé, qui n’a pas d’alternative aux ovins : « Je n’ai rien contre les loups, mais on ne peut pas cohabiter avec eux. C’est ou lui, ou nous. Mais s’il reste, ça va changer l’économie du territoire, et ça va changer le paysage, parce que si on ne met plus de bêtes dans les parcelles, elles vont devenir des friches. »