Le 18 juin sera désormais une date doublement mémorable pour les habitants de Chantenay-Saint-Imbert. C’est en effet ce jour-là que l’association Médecins solidaires a débuté ses consultations dans le centre de santé communal, répondant à l’appel d’une commune et d’un territoire sévèrement frappés par la désertification médicale. La réouverture, menée au pas de charge avec l’appui notamment du Conseil départemental, va redonner un accès aux soins normal à la population.
Sur un panneau d’affichage en liège à l’intérieur de sa mairie, au-dessus d’une coupure de presse annonçant que « les médecins vont défiler à Chantenay », le maire Joël Dubois a fièrement punaisé quelques lignes : « Selon le ministère de la Santé, il manque des médecins généralistes dans 11.329 communes de France, soit une ville sur trois. » Au stylo, il a corrigé le nombre, remplaçant le 9 par un 8.
Depuis le 18 juin, Chantenay-Saint-Imbert ne fait plus partie des 11.329 communes françaises privées de médecin généraliste : la ville du sud-ouest de la Nièvre peut même se targuer d’en compter des dizaines, qui vont se relayer un par un, chaque semaine, pour garantir l’accès aux soins à la population d’un territoire à mi-distance entre Nevers et Moulins. Le centre de santé communal, fermé depuis décembre dernier, a rouvert ses portes, mardi 18 juin, grâce à l’association Médecins solidaires, qui délivre dans la Nièvre son remède miracle appliqué avec succès dans la Creuse et dans le Cher : compenser l’absence de médecins de famille par une « famille de médecins » venant de toute la France pour intervenir à tour de rôle dans les secteurs les plus touchés par la désertification médicale.
Planning de médecins déjà plein jusqu’en janvier 2025
« Plus de 500 médecins ont adhéré à notre projet. Le planning pour Chantenay est d’ores et déjà assuré jusqu’en janvier 2025 », explique Gabriel du Passage, directeur de l’association. Celle-ci fait « tourner » quatre centres de santé (deux dans la Creuse, un dans le Cher et un dans la Nièvre) et est attendue partout comme le messie : « Nous prévoyons l’ouverture de trois autres centres d’ici fin 2024. » Médecins solidaires a passé des conventions avec les Régions Nouvelle-Aquitaine et Centre-Val-de-Loire pour créer au total treize centres supplémentaires d’ici 2027.
L’implantation dans la Nièvre s’est nouée grâce à Bouge ton coQ, partenaire de Médecins solidaires et qui œuvre déjà aux côtés du Conseil départemental pour l’ouverture d’épiceries participatives. « On a étudié toute la Nièvre, avec le Conseil départemental et l’Agence régionale de santé », précise Gabriel du Passage. « On a regardé le nombre de patients sans médecin traitant, le nombre d’ALD (affections longue durée). On a vu qu’ici, c’était pire qu’ailleurs. Le collectif territorial s’est mis en place très vite, avec l’État, les collectivités, les professionnels. Et comme un local était déjà prêt à l’emploi, c’est allé très vite. »
Commune, communauté de communes, Conseil départemental, Conseil régional, État : les collectivités se sont mobilisées en un temps record pour réunir les 220 000 € nécessaires à l’ouverture du centre de santé. Le Conseil départemental a ainsi accordé 60 000 € de subvention (45 000 à Médecins solidaires et 15 000 à Bouge ton coQ, qui a mis au point le projet de santé territorial), et mis à disposition un véhicule pour les médecins qui se relaieront chaque semaine en étant hébergés dans un gîte de la commune. Avec, en prime, un panier d’accueil de produits La Belle Nièvre offert à chacun par le Département et la commune.
L’énergie déployée est à la hauteur de l’enjeu : « Quand on n’a plus de médecin dans une commune, on se sent abandonné », confiait Joël Dubois en ouvrant la réunion publique d’information le soir précédant l’ouverture. « Tout le monde a joué le jeu, et c’est pour ça que tout a pu se débloquer rapidement. » Un sentiment de fierté et de soulagement partagé par Yves Ribet, président de la communauté de communes Nivernais-Bourbonnais, par Hicham Boujlilat, vice-président du Conseil régional, et par Fabien Bazin, président du Conseil départemental : « Quand tout le monde se met en ligne et se rassemble, on arrive à trouver des solutions. La santé, c’est un sujet qui revient partout dans la Nièvre, 24 heures sur 24. J’ai été maire pendant 20 ans, et on m’en a parlé tous les jours. C’est pour cela qu’au Conseil départemental, nous avons pris la santé à bras le corps, en accordant des bourses aux étudiants, en salariant des médecins ou en soutenant des projets comme celui-ci. »
« On accueille les oubliés du système »
Pour le médecin Martial Jardel, fondateur de Médecins solidaires, venu à Chantenay-Saint-Imbert assurer la première semaine d’activité et ainsi veiller à la réussite du lancement (1) : « Dans nos centres de santé, on voit les effets de la désertification médicale, les pathologies chroniques comme le diabète qui ne sont plus suivies, les pertes de chance que cela induit. On le palpe de façon concrète. On accueille les oubliés du système, ceux qui n’ont pas les moyens d’aller à Paris se faire soigner, ceux qui n’ont plus de médecin traitant. Un diabète déséquilibré, ça ne se voit pas, c’est la mort silencieuse de vrais gens. Et nous on les voit apparaître dans notre cabinet, ils se confient. C’est très émouvant, on se dit « mon Dieu »… Je n’imaginais pas qu’il y en avait autant. Par rapport à notre vocation, on est en plein dans le mille. On évite des complications majeures. On a déjà eu des histoires extraordinaires, par exemple un mélanome décelé sur un orteil chez quelqu’un qui venait consulter pour autre chose : si on ne l’avait pas vu, il serait mort en trois ans. »