« Mettez-vous à ma place… » Couples en fracture, ados en rupture, fratries dans le mur : murmurée comme une supplique à la fin de chaque saynète, la phrase illustre l’impossibilité à s’écouter et à se comprendre. Un thème sensible, intime et universel, qui s’est invité avec la Caravane de la médiation familiale dans l’espace public, à Corbigny, Luzy, Clamecy et Varzy, les 6 et 7 octobre. À la rencontre des habitants, les acteurs amateurs, tous médiateurs familiaux, ont fait connaître leur métier, encore trop méconnu, et l’espoir qu’il incarne d’un dialogue restauré sur les cendres de la cacophonie ou du silence.
Jour de marché à Corbigny. Entre un stand de spécialités jurassiennes et un étal de fruits et légumes, entre ombre fraîche et soleil d’été indien, la Caravane de la médiation familiale a déployé son décor sur la placette du 19-Mars-1962 (1). Les bancs se remplissent vite, les curieux s’accrochent à la voix chaude d’Emmanuel Rabita, comédien du TéATr’éPROUVèTe, redingote bleu nuit sous tignasse poivre et sel, bagout de bateleur, embardées lyriques d’Édouard Baer des champs.
À petites touches, la première saynète se met en place, l’air de rien. Une femme, un homme, elle à l’avant-scène, lui sur le toit de la caravane. Du linge, une valise, des questions, des reproches, une distance qui se creuse, irrémédiable. « Mettez-vous à ma place », répètent le mari et la femme aux spectateurs. Deux soliloques qui se percutent, montent jusqu’à la cacophonie surlignée de notes nerveuses par un guitariste.
Des sœurs qui s’écharpent pour une succession, un ado tiraillé entre ses parents séparés, un EHPAD où une fille de résidente et une soignante s’invectivent, un jeune agriculteur qui veut quitter la ferme, sa mère et sa sœur… « Mettez-vous à ma place… » Quelques passants s’arrêtent, intrigués, saisis par ces tranches de vie plus vraies que nature : « Eh bien, ça rigole pas », glisse un chaland en écoutant le crêpage entre agriculteurs. La Caravane de la médiation familiale tend au public le miroir troublant de situations vécues, de l’incommunicabilité qui ronge les sentiments, rogne les forces jusqu’à l’os. « Qu’est-ce qu’on fait avant de s’entretuer ou d’aller chercher un avocat ? », souffle Emmanuel Rabita.
Ni héros ni thérapeute, le médiateur familial aide à remettre du dialogue là où règnent le silence ou les cris. Plus parlante qu’une démonstration powerpoint ou un barnum de salon, la Caravane a mis en lumière ce rôle encore trop sous-exposé dans des lieux de vie et de rencontres de Corbigny, Luzy, Clamecy et Varzy, les 6 et 7 octobre, comme elle l’avait fait l’an passé en Saône-et-Loire.
L’exercice du théâtre de rue est un beau défi relevé par la « troupe » de médiateurs, tous comédiens amateurs, et même un peu chanteurs, que le TéATr’éPROUVèTe a accompagnée dans sa création, hébergée à la Transverse de Corbigny, et son itinérance. Entre les saynètes, la médiation familiale se présente, en quelques phrases simples, rassurantes : « Tout ce qui se dit en médiation reste confidentiel. Un médiateur est diplômé d’État, il vous reçoit dans un lieu calme, sécurisant, où chacun peut exprimer ses besoins. »
1. En présence de Séverine Bernard, conseillère départementale du canton de Corbigny.