Gamin, il faisait le mur du Pré-Fleuri pour taper la balle ovale sur le terrain. À 25 ans, Guillaume Manevy n’a plus besoin d’escalader le grillage pour jouer dans le stade de ses rêves. Pur produit de l’école de rugby et de la formation neversoise, le demi de mêlée de l’USON Nevers Rugby a exaucé son vœu de faire de son jeu favori un métier. Et incarne, en pionnier, la volonté du club de détecter et polir, dans la Nièvre et alentour, les futurs talents du rugby professionnel.
En mai 2022, l’USON Nevers Rugby vit l’un des plus grands jours de son histoire en Pro D2 : son premier match de barrage à domicile, face à Carcassonne. Ce jour-là, parmi les 23 joueurs, un grand blond mince mais costaud savoure encore plus intensément que les autres ces heures qui restent gravées au fond du cerveau jusqu’au dernier souffle. Guillaume Manevy, 25 ans, entre sur la pelouse du Pré-Fleuri, devant 7 500 personnes hurlant « USON, USON » à pleins poumons, avec sur le dos le n°9 de demi de mêlée titulaire. Un rêve d’enfance devenu réalité à quelques centaines de mètres de la maison familiale. 80 minutes de match plus tard, l’USON terrasse Carcassonne et se qualifie pour sa première demi-finale – perdue une semaine plus tard à Mont-de-Marsan, sans honte et avec le sentiment d’être passé à côté d’un bonheur encore plus grand.
« J’ai vécu mon plus beau souvenir rugbystique », sourit le seul Nivernais pur jus du groupe pro. « L’arrivée au stade, avec les fumigènes, ça vous prend aux tripes. Et quand on entre sur le terrain devant 7 500 personnes, ça vous donne un supplément d’âme. » Malgré une blessure au genou qui le tient éloigné des terrains depuis janvier, le gamin de Sermoise-sur-Loire affiche la mine apaisée et rayonnante de celui qui a réalisé son vœu le plus improbable : être rugbyman professionnel sous les couleurs de Nevers.
Vingt et un ans plus tôt, quand Guillaume Manevy imite son grand frère Jean-Baptiste et se met au rugby, l’USON est encore un club amateur qui navigue entre Fédérale 2 et Fédérale 3. Et le Pré-Fleuri un stade comme tant d’autres : « Je me souviens de la tribune en bois et de la balustrade en béton blanc. C’est un stade qui a une histoire. Quand j’étais petit, j’escaladais la grille et j’allais m’y entraîner. J’ai accroché tout de suite au rugby, à l’esprit de camaraderie, aux mercredis avec les copains, aux entraînements, aux goûters. »
En 2009, Régis Dumange, patron de Textilot et passionné de sport, prend les rênes du club, alors en Fédérale 2, pour l’emmener vers le rugby professionnel. Le jeune demi de mêlée de l’école de rugby a « des étoiles dans les yeux ». Lui dont les modèles s’appellent Morgan Parra et Byron Kelleher, tauliers des Bleus et des All Blacks, voit là sa chance de concilier son ambition du professionnalisme et son attachement à l’USON : « Ce club, c’est tout pour moi. Chaque fois que j’enfile le maillot, j’ai des papillons dans le ventre. C’est mon club de cœur, et j’aimerais connaître le Top 14 avec lui. »
Le club neversois aux 120 ans pétants de santé et son cornac vieux d’un quart de siècle ont tous deux connu des chemins détournés vers le haut niveau. « Je n’ai pas fait de Pôle Espoirs, mais j’ai toujours eu la volonté d’être pro, et de tout donner pour ça », souligne Guillaume Manevy. « J’ai appris les « skills » avec Manu Cabanes, Régis Sigoire, et cela a toujours été un honneur pour moi d’avoir progressé de cette façon. Je n’ai rien à envier aux jeunes qui sont passés par les filières classiques. Ça prouve que le travail paye. »
La remise en question aussi. En 2019, à 21 ans, barré par la concurrence à son poste, le demi de mêlée quitte l’USON pour Aubenas, en Fédérale 1 : « Le staff m’a dit qu’il gardait un œil sur moi. Partir m’a fait du bien, cela m’a mis au pied du mur. À Aubenas, je jouais en équipe 1, j’avais davantage la pression du résultat qu’avec les Espoirs de Nevers. J’avais la confiance des entraîneurs, mais il fallait que je m’impose. Ça m’a ouvert les yeux. »
Au bout d’un an, convaincue par sa croissance, l’USON le fait rentrer au bercail. La concurrence est encore rude, avec notamment Joris Cazenave, l’un des meilleurs demis de mêlée de Pro D2. Guillaume Manevy gratte du temps de jeu, s’obstine, saisit sa chance au printemps 2022, s’impose comme titulaire à dix reprises sur les seize derniers matchs : « J’ai fait une très bonne fin de saison. J’étais fier de porter le maillot de titulaire pour ces matches qui ont marqué l’histoire du club. Et j’espère que cela donnera envie à de plus en plus de jeunes du cru, comme moi, de devenir professionnels. »
Le local de l’épate
Dans son emploi du temps « assez complexe », il s’arrange pour aller, dès qu’il le peut, voir les jeunes de l’école de rugby : « Plus tard, j’aurai la volonté de leur transmettre l’amour du club. Cette ville transpire l’USON. On a une des plus grosses affluences de Pro D2. Tous ces gens qui viennent, on n’a qu’une envie, c’est de les rendre fiers, pour qu’ils reviennent, pour faire du stade le chaudron nivernais. Quand le Pré-Fleuri est plein, c’est fabuleux. On sait qu’il y a des supporters qui n’ont pas une vie facile, qui prennent un abonnement et vivent le match comme un exutoire de leur semaine de travail. Et je les en remercie. J’aimerais qu’on soit tous conscients, nous les joueurs, qu’on porte une région. »
Fier de sa singularité de local de l’épate, de voir aussi son club arracher d’année en année son étiquette de « club de riches » pour celle de club formateur « dans lequel le Top 14 vient piocher », Guillaume Manevy regarde sa vie de joueur pro avec un émerveillement sincère : « Pour moi, ce n’est pas du tout mon métier, je me sens encore comme si j’avais cinq ans. Le rugby, c’est le plaisir, le jeu, l’entraînement. J’ai la banane, toujours une âme d’enfant. Quoi que je fasse, je me régale : la muscu, les déplacements… Les matches sont tellement uniques, il n’y a jamais de routine. J’ai envie de rester jeune dans ma tête. Quand on perd l’insouciance, il y a moins de plaisir, c’est un peu triste. »
Crédit photos : USON Nevers Rugby