© Christophe Vootz
Exposition, livre, documentaire : si les 35 ans du Théâtre du Caramel fou lui « filent un coup de vieux », Jean-Luc Revol retrouve la jouvence de la mise en scène et l’un de ses auteurs fétiches, Carlo Goldoni, pour la création du Chevalier et la Dame. Une œuvre méconnue qui écharpe avec délice les vices de l’aristocratie italienne du XVIIIe siècle assaillant la vertu d’un somptueux personnage de femme ruinée, joué tout en tension par Chloé Berthier. Enchâssé dans un décor crépusculaire et une bande son de guitares saturées, le noir joyau est à découvrir sur la scène de La Maison jeudi 6 et vendredi 7 octobre.
Sept ans après Le Roi Lear, Jean-Luc Revol renoue avec le plaisir de la mise en scène sur ses terres de La Maison, le paquebot dans lequel est née sa vocation théâtrale à l’adolescence, dans les années 1970, et dont il mène le cap depuis 2016. « J’avais mis mon travail de metteur en scène entre parenthèses. Le Roi Lear avait été compliqué, j’avais eu un coup de mou, plus envie de me remettre tout de suite à la mise en scène. Et puis il fallait remonter La Maison », explique le directeur dans son bureau donnant sur le pont de Loire, où les anciens rayonnages de la bibliothèque lui rappellent sa jeunesse, quand la Maison de la culture (la « Macu ») était son terrain d’aventures et de découvertes, comme celui de nombreux jeunes Neversois : « On n’avait pas internet, pas de réseaux, on venait ici à la bibliothèque, à la discothèque, voir des films, des pièces. Il se passait plein de choses. S’il n’y avait pas eu ce lieu, je n’aurais jamais fait ce métier. J’ai commencé à faire du théâtre en amateur ici, en 1973, avec Simone Vite. »
Presque un demi-siècle plus tard, l’hommage que lui rend « sa » Maison lui « fait un peu bizarre », pour les 35 ans du Théâtre du Caramel fou : « On est entre la nostalgie et le jubilé, comme pour la reine d’Angleterre (sourire). Mais ce n’est pas un bilan. » Histoire de ne pas s’appesantir sur le passé, Jean-Luc Revol a donc remis l’ouvrage sur le métier en montant Le Chevalier et la Dame, de Carlo Goldoni, une pièce de 1749 qui rejoue brillamment l’éternel combat de la vertu et du vice : « La mise en scène m’avait manqué. On avait joué un Goldoni en 1990 (La Manie de la villégiature, NDLR). Le Chevalier et la Dame, c’est un projet que j’avais depuis dix ans. C’est un Goldoni en demi-teinte, du « haut comique », avec un très beau personnage de femme. »
En répétition à La Maison depuis le 1er septembre, la troupe du Caramel fou présentera sa création en primeur au public jeudi 6 et vendredi 7 octobre, à 20 h, dans la Grande salle. A l’amorce de la dernière ligne droite du filage (trois séances de travail du lundi au mercredi « dans les conditions du direct », avec costumes, perruques et maquillage), la pièce saisit d’emblée, dans le fracas de l’orage, par sa sombre atmosphère de fin d’un monde – noble ruinée, aristocrates vénéneux, homme de loi veule, etc.
Au centre de l’intrigue, Donna Eleonora, passée du luxe à la misère depuis l’emprisonnement de son riche mari, est un sublime rôle de femme au bord de la crise de nerfs, luttant éperdument pour sauver ce qui peut l’être encore, son honneur, son reflet dans le miroir, son amitié avec sa fidèle servante. Une flamme vacillante magnifiquement jouée par Chloé Berthier, dont la voix et la gestuelle promènent le spectateur sur le fil tendu à rompre au-dessus du désespoir vertigineux. Autour d’elle, Don Rodrigo, chevalier rongé par le paradoxe de ses sentiments (amour pur et invitation à l’infidélité), et une volée de vautours déterminés à dépecer la moralité de Donna Eleonora.
Tirant davantage vers l’obscur que vers le clair, la mise en scène de Jean-Luc Revol trace des ponts entre cette pièce de près de 300 ans et l’amertume de 2022. La confusion des sentiments, la perte des repères moraux, l’effritement intime, la perversité de caste, tout ou presque fait écho d’un siècle à l’autre. Comme les riffs de guitare lourde qui relient les scènes avec l’anachronisme finalement limpide d’un « back in black ». Noir c’est (toujours) noir.
En savoir plus : https://maisonculture.fr/spectacle/le-chevalier-et-la-dame
Tarifs : 15 à 27 €.
Des places sont encore disponibles. La billetterie est ouverte du mardi au vendredi de 10 h 30 à 18 h 30, et le samedi de 10 h à 13 h. Tél. : 03.86.93.09.09. Courriel : billetterie@maisonculture.fr
Coproduit par La Maison et le Grranit (Belfort), Le Chevalier et la Dame partira en tournée entre octobre et avril à Amiens, Chelles, Beaune, Soissons, Belfort, Le Chesnay, Thonon-les-Bains, Lons-le-Saunier et Vernon.
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