Entre auto-flagellation, sous-évaluation et mauvaise communication, le rapport complexe des Nivernais à « leur » Nièvre a largement occupé les débats de la dernière rencontre citoyenne Imagine la Nièvre ! de ce premier semestre, jeudi 5 juin à Nevers. Un « je t’aime moi non plus » qui désarçonne souvent les nouveaux habitants et pèse sur l’image renvoyée à l’extérieur.
Originaire des Hauts-de-France, passé par la Seine-Maritime, Philippe s’est installé dans la Nièvre il y a plus de quatre ans, avec son épouse pharmacienne et leurs deux enfants. Et ne regrette surtout pas son choix : « J’ai une maison deux fois plus grande, un terrain quatre fois plus grand, et cela m’a coûté deux fois moins cher que notre maison en Normandie », détaille-t-il devant la centaine de personnes réunis dans la grande salle du Café Charbon, à Nevers.
L’invitation collective à « imaginer la Nièvre », fil rouge tendu par le Conseil départemental et son président Fabien Bazin depuis 2021, l’a incité à faire part de son expérience, et d’un constat qui le taraude : « Je suis surpris par le désamour des Nivernais envers leur département. Ça me choque. Pourtant, que ce soit dans la vie professionnelle ou la vie personnelle, l’accomplissement est possible ici. Mon fils aîné entre dans une école vétérinaire, et il a pu y parvenir en étant scolarisé à Nevers, et le plus jeune a gagné avec sa classe, de Nevers elle aussi, un concours de maths à Dijon. C’est peut-être bon d’aller voir ailleurs, parce qu’on n’est jamais satisfait de ce qu’on a. » Le Nivernais d’adoption a retrouvé le bocage qu’il avait connu dans l’Avesnois (Nord), et insiste sur le cadre de vie préservé, une chance pour les habitants : « Avant, j’ai vécu dans le Pays de Cau, en Seine-Maritime, où les paysages sont devenus affreux à cause de l’agriculture extensive. »
Réhabilitée en partie par la crise sanitaire du Covid en 2020-2021, la ruralité est devenue une force dont les Nivernais mesurent encore trop peu le pouvoir d’attraction, à écouter Philippe mais aussi Jean-Luc, retraité : « J’ai des enfants qui vivent à Paris, et qui ne rêvent que de revenir s’installer dans la Nièvre. Quand ma fille redescend, elle dit « je reviens à la Comté », ça parlera à ceux qui connaissent Le Seigneur des anneaux. Ici, on est les gentils Hobbits (rires). Le problème, c’est qu’il n’y a pas ici le travail qui leur conviendrait. Mais ils sont devenus très fiers de dire qu’ils sont de la Nièvre. Dernièrement, des gens de Saint-Étienne sont venus en séjour, et ils ont trouvé la région magnifique. C’est le verre à moitié vide, ou plein. » Transports, santé, les obstacles ne sont pas éludés par Jean-Luc : « Pour venir, il faudrait déjà avoir des trains qui ne soient plus en panne. Et pour rester, il faut pouvoir être soigné. Pour consulter un dermatologue, je dois aller à Paris ; ce n’est pas normal. Moi, ça va, j’ai les moyens, mais comment font les gens qui ne les ont pas ? Ils ne peuvent pas se soigner, c’est lamentable. »
Ce soir-là, comme lors de chaque soir d’Imagine la Nièvre ! (et de sa petite sœur Imagine la jeunesse) depuis 2022, les expressions qu’inspire la Nièvre se révèlent antithétiques. Juste après Emma, ravie d’être revenue vivre à Nevers après des études de kinésithérapie en Suisse, un jeune homme au maillot de foot floqué Messi affirme tout de go : « Je préférerais partir. Je veux travailler dans la maçonnerie, peut-être à Paris. Il y a besoin de maçons, là-bas. » Sa voisine est sur la même ligne : « Il faudrait un peu plus de dynamisme, de travail, pour les jeunes. Le département est bien, mais ce n’est pas là que je veux finir ma vie. »
Soupirs dans l’assistance, où l’attachement à la Nièvre s’accompagne souvent du sentiment d’un potentiel méconnu, ignoré ou en jachère. Ainsi Charles, « Nivernais d’adoption depuis 40 ans », au sujet de l’agriculture : « L’aspect rural n’est pas assez exploité, dans le sens de la souveraineté alimentaire locale. Avec toutes les terres agricoles qui existent, on pourrait avoir une activité intensifiée, qui créerait des emplois, qui fournirait les cantines en produits locaux. Il y a un manque d’organisation, de filière, d’abattoirs. On fait venir des aliments qui coûtent la peau des fesses et engendrent des gaz à effet de serre : on marche sur la tête. »
Père d’un ingénieur au Technopôle de Magny-Cours, grand-père d’un titulaire de licence culturelle embauché illico dans une médiathèque de l’agglomération, un retraité pointe à son tour la fameuse « nièvrose » qui ankylose les énergies : « J’ai beaucoup voyagé, et j’ai du recul. Je trouve que dans la Nièvre, on se flagelle beaucoup. Moi, je suis heureux de vivre ici, on a la chance d’être sur un nœud touristique pour tous ceux qui aiment faire du vélo ; des milliers de touristes découvrent la Nièvre tous les ans en traversant la France. Pour donner aux gens l’envie de s’installer dans la Nièvre, il faudrait déjà que ceux qui y vivent promeuvent ce qu’ils ont au quotidien. Moi, je n’ai pas l’impression de vivre dans un endroit perdu. »
Ancien enseignant d’EPS, Jean-Pascal l’assure : « La Nièvre a plein de pépites. On voit des anciens de l’ISAT qui reviennent à Magny-Cours, des sportifs qui s’installent. Mais il y a un gros manque de communication. Il y a des parcours extraordinaires à vélo, et ils ne sont pas assez mis en valeur. Le fléchage de la Véloroute jusqu’à Nevers est aussi à revoir. Des concerts et des spectacles sont organisés tous les week-ends, mais on ne les connaît pas assez. » Ce qui n’affadit pas son impression d’être un « privilégié » : « Je vis dans un environnement extraordinaire. Je traverse le pont de Loire, et je suis dans la nature. »
Après une bonne heure d’échanges, Fabien Bazin se sent une nouvelle fois galvanisé au moment de conclure la soirée : « C’est la douzième réunion de 2025, et on ressort toujours avec plein d’idées, de propositions. Quand je vois les gens aussi nombreux, je suis convaincu que nous avons une force citoyenne qui peut renverser des montagnes. On peut faire des tas de choses : nous avons la clef à notre portée pour régler les problèmes. Et montrer à l’État que quand les citoyens s’en mêlent, ça fonctionne beaucoup mieux. »