Théâtre de la troisième rencontre Imagine la Nièvre ! en 2025, Donzy a mis en lumière des visions contrastées, parfois antagonistes, du département, de son présent et de son futur. Attirer des entreprises pour recréer de l’emploi et garder la jeunesse au nid ? En faire une oasis rurale et bucolique épargnée par les fracas du monde ? Autour de ces deux scénarios à concilier, les prises de parole ont été passionnées, réfléchies et respectueuses, le gage d’une écoute et d’une tolérance qui guident ces soirées citoyennes.
Entre manèges et baraques, la fête foraine est déjà déployée sur la place Gambetta, prête à faire chavirer le week-end de Pâques à Donzy. Un décor silencieux et immobile, presque irréel, en ce jeudi soir, derrière lequel la « tournée » citoyenne Imagine la Nièvre ! a installé son chapiteau dans la salle Henri-Clément : une centaine de chaises disposées face à face, pour favoriser l’écoute, une sono, un écran pour le film inaugural, et c’est tout. Pas besoin de clinquant, l’essentiel est ailleurs, dans la parole qui vibre et rebondit au fil d’une soirée aussi riche que les deux premières, à Luzy et Varennes-Vauzelles.
Venus de tout le nord-ouest du département, de Pouilly-sur-Loire à Entrains-sur-Nohain, de Cosne-sur-Loire à Saint-Amand-en-Puisaye, les habitants ont donné à voir, et à écouter, des sensibilités différentes, parfois dissonantes, autour d’un dénominateur commun, l’attachement à la Nièvre. Et un diagnostic unanime sur les maux du département, un système de santé dans un état alarmant et une offre de transports en commun bien trop insuffisante. Même si, à écouter Marie-Élise, les atouts éclipsent les faiblesses, et gagnent à être reconnus : « Quand on voit ce qui se passe ailleurs, on n’est pas si mal que ça dans la Nièvre. Le département a un potentiel, une richesse, une diversité, qu’il faudrait exploiter à sa juste valeur. On peut toujours faire mieux, mais il faudrait déjà valoriser ce que l’on a. On réclame beaucoup, on veut qu’il y ait plus de dynamisme, mais est-ce qu’on profite vraiment de tout ce qu’on propose. Il faut que tout le monde joue le jeu, sinon les gens qui s’investissent vont perdre patience et baisser les bras. »
Philippe, buraliste, dresse un tableau plus sombre : « Faire venir des entreprises avec un système de santé qui se dégrade et des transports inexistants, ce n’est pas la peine d’y penser. On ne peut pas demander à quelqu’un de prendre sa voiture pour aller à Paris parce que le train peut s’arrêter à Montargis pendant trois heures. Il y a des projets intéressants, mais c’est l’historique qui plante et qui plombe, on est très loin du modernisme. »
Arrivée de Paris il y a deux ans avec son mari et ses trois enfants, par « ras-le-bol » de la capitale, Maud a pu créer sa savonnerie, « ce qui aurait été irréalisable en région parisienne », mais elle n’occulte pas les faiblesses : « Mon mari travaille encore sur Paris et c’est vrai que les transports, c’est compliqué. Et là où nous vivons, il n’y a pas de réseau téléphonique. Si la Nièvre veut se redynamiser, il faut davantage de communication, de services, sinon les gens vont partir. Et pourtant c’est une belle région, agréable, proche de Paris. »
« J’adore ce territoire », abonde Anne-Marie, Poyaudine d’adoption. « J’ai voyagé dans le monde, une certaine France me manquait, et je l’ai trouvée dans la Nièvre. » Le charme des villages, la beauté du patrimoine, la douceur des paysages, tout ce qui séduit les Nivernais de toujours et d’aujourd’hui, est-il conciliable avec le développement économique et la réindustrialisation ? « Je vis à Saint-Amand, je suis née ici, je suis partie en France et à l’étranger, je suis revenue et l’industrie, les transports, la fibre, ça ne me fait pas rêver », s’émeut une Nivernaise. « Il y a des imaginaires qui me font peur. Développer, exploiter, dynamiser, ça ne me parle pas, ça ne marche pas, c’est un système qui s’effondre, qu’il faut changer. »
Retraité de l’entreprise SMFI, à Cosne-sur-Loire, « passée de 400 emplois à zéro », Daniel a la nostalgie d’une Nièvre industrielle et industrieuse : « J’ai connu les bouchons sur la RN7 dans Cosne, c’était vivant, il y avait des hôtels partout. Notre problème, c’est l’enclavement. » Passé de la SNCF à l’élevage de chèvres, de Paris à Donzy, un agriculteur dont le fils a repris l’exploitation pointe « le manque de formations pour les jeunes ». Des loisirs, des logements rénovés et adaptés, des transports plus réguliers entre villes et villages, sont d’autres pistes à creuser pour attirer les familles : « On a un coût de la vie intéressant pour les jeunes couples. »
Au terme d’une bonne heure d’interventions sans temps mort, Fabien Bazin, président du Conseil départemental et initiateur d’Imagine la Nièvre !, a encore rempli son carnet de notes : « Ce n’est pas souvent qu’on a l’occasion de parler de l’endroit où l’on vit et de ce qu’on pourrait y faire. Des soirées comme celle-ci confirment la nécessité d’avoir des espaces de controverse, où on doit pouvoir créer du consensus sans se faire la guerre. »