Creuset vibrant d’arts du cirque et de la rue, La Transverse a été le théâtre d’une autre forme de spectacle vivant, le dialogue citoyen d’Imagine la jeunesse, vendredi 4 avril. Cette étape inédite à Corbigny a résonné de témoignages forts, de constats sans concessions, et d’aspirations aussi simples qu’élevées – le bonheur, la santé, la sérénité. Une parole riche, libre, aux émotions mêlées, qui a vu jaillir, pour la première fois dans la courte histoire d’Imagine la jeunesse, un slam posé par Lloyd, résident du foyer d’insertion de l’APIAS à Marigny-sur-Yonne.
Son épaisse doudoune gardée dans la tiédeur printanière ressemble à une armure, au-dessus de laquelle volette son regard. Après avoir navigué nerveusement entre le dedans et le dehors de La Transverse, en attendant que commence la rencontre citoyenne Imagine la jeunesse, après avoir écouté les premiers témoignages, jaugé la bienveillance, Lloyd, 18 ans, se lève et prend le micro. Venu avec un plein minibus de jeunes et d’éducateurs du foyer d’insertion de l’APIAS, à Marigny-sur-Yonne, le jeune homme l’avoue, il ne « connaît pas trop la Nièvre », lui qui vient d’Auxerre.
Wilfrid Séjeau, vice-président du Conseil départemental en charge de la jeunesse et « Monsieur Loyal » de la soirée, l’interroge doucement. Son rêve ? « Être dans la musique. Je fais du rap, du slam, en solo. » La vie à Marigny ? « On est bien, c’est la campagne, il n’y a pas trop de trucs dangereux. » La précision fait sourire le public, Lloyd se détend, et se lance : « Je peux faire un slam ? » Sa voisine amorce la bande son sur son smartphone, et fixant un point invisible au fond de la salle, le jeune résident de l’APIAS dit plus qu’il chante sa différence, l’étouffant décalage avec le monde, les autres, les regards, le sentiment de n’être jamais à sa place. Les phrases coulent, limpides, fluides, dans une Transverse suspendue à ses mots. Les applaudissements pleuvent, Lloyd rend le micro et se rassoit, visage illuminé d’un immense sourire.
Temps fort impromptu, le slam a marqué le tempo d’une troisième soirée d’Imagine la jeunesse 2025 à la riche musicalité. Maçon-couvreur de Saint-Saulge, boxeur à Corbigny, Romain est le premier à prendre la parole, dans la foulée d’une collection inspirante de témoignages filmés. « J’ai grandi ici, à Alluy. J’ai vu des villages se mourir, j’ai vu aussi un kebab ouvrir, les gens dire « on n’y va pas, c’est pas bon, c’est pas propre », des on-dit, comme ça. Et trois semaines plus tard, le kebab a fermé, sans qu’on lui ait donné sa chance. C’est à chacun de changer de mentalité. Comme je suis rêveur, je me verrais bien les pieds sur une plage de sable fin, à l’autre bout du monde, mais je vais rester ici, rien ne me pousse à faire le contraire. Je vais continuer dans cette voie, pourquoi pas reprendre une entreprise, dans quelques années, ou créer la mienne. À partir du moment où j’aurai subvenu aux besoins de ma famille, j’aurai réussi ma vie. »
Kimberley, qui rêve de travailler dans une crèche, puis Nicolas, employé dans une supérette, confient tour à tour l’obstacle majeur de la mobilité dans ce Haut-Nivernais, le Graal du permis de conduire, puis de la voiture : « Trouver un emploi, c’est compliqué quand on n’a pas de permis », souligne le second, accompagné par la Mission locale Nivernais-Morvan, qui a décidé de retourner dans sa région d’origine, le Centre-Val de Loire, sans amertume : « J’ai envie que la Nièvre se développe, et je serai content de pouvoir y contribuer. »
Collégien, footballeur et élu du Conseil municipal des jeunes de Corbigny, Gabriel estime « qu’on a à peu près ce qu’il faut, pour l’instant », entre les parties de foot au city stade et la considération des aînés : « Au CMJ, on peut donner notre avis, des idées sur plein de choses, comme les Pavés de la mémoire pour les gens qui sont morts pour la France. » Son avenir, il l’imagine sous d’autres cieux, dans l’armée de l’Air, découverte sur un stand à un forum des métiers : « Ma maman me dit « n’y va pas », moi ça me plairait, mais je vais y réfléchir quand même », sourit-il.
Louna, elle, dépeint avec humour sa vie entre son village de Brinon-sur-Beuvron, « 180 habitants, 3 adolescents », et Varzy, « un Bi1 (supermarché), un collège, un kebab », et sa détermination à ouvrir un local pour les jeunes à Brinon, avec des copains : « On cherche des financements. On va vendre des glaces, aux Petites Rêveries, pour récolter de l’argent. » Et, sous le vernis de la plaisanterie, l’isolement pesant : « Je veux aller ailleurs pour rencontrer plus de monde. »
Elena, elle, veut aussi partir, « dès que je peux, pour avoir une vie meilleure ». Usée par le parcours du combattant pour financer son permis de conduire et ceux qu’elle mène, désormais, pour acheter une voiture et trouver un emploi, « dans la vente ou la cuisine ». Son rêve ? « Réussir, être heureuse, épanouie financièrement. Pouvoir faire des courses et des activités sans regarder les prix, faire plaisir à sa famille. » Le lest de la réalité : « Il ne faut pas avoir de problème de santé dans la Nièvre. Parce qu’ici c’est pas au top, dans ce domaine. Pas au top du tout. »
Animateur jeunesse au centre social local, Guilhem abonde : « La Nièvre, c’est génial quand on est en bonne santé. Il ne faut pas avoir de pépin. Prendre un rendez-vous avec un médecin, c’est difficile, et si on veut voir un spécialiste, il faut souvent sortir du département. Et j‘ai la chance d’avoir le permis et une voiture, c’est vrai que sans ça la vie ici est très compliquée. » Il en faut plus refroidir cet « amoureux du terrain et des gens », heureux de travailler à Corbigny, « culturellement riche » : « La preuve, je suis désormais papa. »
Lycéenne en internat à Nevers, Églantine ne se sent pas décalée par sa vie dans un village de 40 habitants : « Il se passe beaucoup de choses dans la région, il y a plein de spectacles, mais c’est dommage, il n’y a pas assez de spectateurs. C’est peut-être un manque de communication. Je viens beaucoup à La Transverse, il n’y a pas tout le temps du monde, alors qu’ils font des trucs super. »
Symbole de cette vitalité culturelle, le collectif des Cultivacteurs est invité à se présenter, en fin d’une réunion à la richesse une fois de plus stimulante, comme le souligne Fabien Bazin, président du Conseil départemental : « Cette soirée nous conforte dans l’idée qu’il faut qu’on continue à aller vous voir. » Et de citer les mots d’Emma, jeune résidente du foyer de Marigny-sur-Yonne : « Tu as raison, c’est compliqué mais on s’aime tous et on est une grande famille. »