En rupture de chaises sous l’afflux des participants, l’étape clamecycoise d’Imagine la jeunesse a été fidèle à sa (jeune) tradition, jeudi 13 mars : vivante, vibrante, effervescente. Tranchant avec un climat national et mondial plus que fébrile, les prises de parole ont fait la part belle à la conviction que de meilleurs lendemains sont possibles, dans la Nièvre comme ailleurs, à condition de miser sur la culture, le partage des savoirs et la solidarité. Retour sur une soirée revigorante.
Les 120 chaises initialement disposées sont débordées en quelques minutes. Puis ce sont les piles de sièges de secours qui n’y suffisent plus. Les bureaux voisins de la salle Romain-Rolland, au premier étage de la mairie de Clamecy, sont à leur tour délestés du moindre fauteuil, mais quand la rencontre citoyenne commence, à 18 heures bien tassées, il reste une bonne vingtaine de personnes debout, et sans doute plus de 150 assises. Une première, et un record, en douze soirées d’Imagine la jeunesse organisées depuis 2023, qui confirme que la « capitale » des Vaux d’Yonne cultive un puissant attachement pour cette démarche initiée par le Conseil départemental.
Présents massivement, avec un fort contingent de la section handball, les élèves du lycée Romain-Rolland ont montré qu’ils avaient hérité du caractère rebelle de leurs ancêtres flotteurs de bois. Rebelles à la sinistrose, au défaitisme, au conformisme, sans pour autant repeindre la réalité en rose. « J’étais venu à la réunion de 2024, j’avais dit que mon objectif était de gagner beaucoup d’argent », lance un élève de terminale. « Mais, depuis, j’ai réfléchi, et je veux avant tout aider, être utile, tendre la main à ceux qui ont besoin. C’est l’expérience qui m’a fait mûrir : avec notre classe, on a participé à une distribution des Restos du cœur, à Clamecy. J’ai vu que ça faisait du bien quand on pouvait redonner le sourire aux gens. »
Réussir sa vie ? La question posée par Blandine Delaporte, vice-présidente en charge du dialogue avec les habitants et intervieweuse vespérale, inspire des réponses dans lesquelles le confort matériel s’efface derrière la fierté de soi, le regard de l’entourage, la recherche du bonheur. Une quête de sens qu’illustrent trois jeunes pompiers volontaires du centre de secours de Clamecy, venus faire la promotion de la citoyenneté et d’un engagement dont ils veulent à l’unisson faire leur métier. En quelques mots délicats, une jeune fille expose sa « résilience » dans un parcours personnel chaotique, et son envie de devenir « infirmière chez les sapeurs-pompiers », comme une façon de défier les sombres prédictions : « On m’a dit en foyer que je n’y arriverais pas. Je veux montrer que c’est possible. »
Délicatement aiguillées par Blandine Delaporte, les interventions se succèdent pendant une bonne heure, entrecoupées de témoignages de membres de la Bande des moins jeunes, qui viennent dispenser leur expérience et leur connaissance du terrain nivernais à l’issue de chaque soirée. Un enseignant du lycée horticole de Varzy, accompagné d’une cohorte d’élèves et de collègues, exprime sa « grande confiance dans les jeunes », mais aussi son inquiétude : « Ils ont souvent des projets, des rêves, des envies d’engagement, et puis ils grandissent et tout s’arrête. » Et d’exposer leur « colère », en corollaire, face à la réduction brutale du Pass culture : « Aller au musée, au cinéma, lire un livre, c’est important, ça permet de faire autre chose que travailler comme un robot. »
À leur tour, des lycéens saisissent au rebond l’enjeu de l’accès à la culture, compliqué sans un sésame comme le Pass pour les familles dont les moyens financiers plongent dans le rouge quand un enfant part en études supérieures. « Le logement, la nourriture, les dépenses diverses, si vous n’êtes pas alternant ou boursier, c’est très difficile pour certaines familles. Réduire le Pass culture, c’est injuste, pour la même raison », pointe un lycéen qui alerte aussi sur la « discrimination » de Parcoursup : « Il y a des frais de dossier pour certaines écoles, tout le monde ne peut pas se le permettre. »
Rémi, élève de terminale à Clamecy, détaille le paradoxe d’une communication débordante mais souvent insuffisante : « J’ai été accompagné par l’association Chemins d’avenir, qui m’a mis en contact avec un mentor ; il m’a aidé à voir plus clair, j’étais perdu. Des choses existent, comme les bourses de l’association De la Nièvre aux grandes écoles, mais il y a un manque de communication. C’est pareil pour la Nièvre, on n’en entend jamais parler sur les réseaux. » À la question « réussir sa vie ? », il apporte une réponse saisissante, qui avive l’écoute de la salle : « Réussir sa vie, ça veut dire s’émanciper, avoir sa propre opinion, être capable de la développer. Et ça passe par la culture. Voyager, aller voir des spectacles, des concerts, ça fait truc de vieux, mais on doit être curieux de ce qui nous entoure. »
Ébranlé, le stéréotype d’une jeunesse « instagramée » voire « hanounisée » vole en éclats sous les témoignages qui s’enchaînent, d’un travail de mémoire mené conjointement sur le massacre des tirailleurs sénégalais à Clamecy et le génocide des Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale, ou sur l’option théâtre proposée au lycée Romain-Rolland et qui offre la chance d’accéder à « des spectacles extraordinaires à prix abordables » à La Maison, à Nevers : « J’en suis sortie plusieurs fois bouleversée. Ça ouvre la curiosité », confie une élève.
Après avoir couvert des pages de notes, le président du Conseil départemental, Fabien Bazin, conclut une soirée aux airs de confirmation : « Quelque chose est en train de se passer dans ce département, on le voit encore ce soir. Il y a quelque chose qui frémit, on ne sait pas encore dans quel sens. Ce qui est sûr, c’est que dans ce monde un peu compliqué, chacun peut donner un coup de pouce. Ce département a vraiment besoin de vous, et plus vous vous engagerez, plus vous verrez que vous aurez un retour. »