L’été 1944 fut sanglant dans le Morvan. À Lormes, le 12 juin 1944, quatre maquisards et quatre habitants sont tués par l’armée allemande lors d’une bataille gravée dans l’histoire de la commune et commémorée chaque année. Exposition, participation des collégiens : le 80e anniversaire, invitant à « se souvenir et comprendre », a donné encore plus de solennité à l’évocation d’événements auxquels l’actualité mondiale et nationale renvoie un lourd écho.
À quoi, ou à qui, pensait-il en regardant le photographe ? La fin de la guerre ? Les jours meilleurs ? Son amoureuse ? Sourire doux et regard clair, André Chossefoin est l’un des quatre civils dont la vie s’est arrêtée le 12 juin 1944, brisée net par une balle allemande. Le visage en grand format du cordonnier accroche le visiteur de l’exposition « Lormes dans la Libération », inaugurée mercredi 12 juin lors de la commémoration du 80e anniversaire de la bataille de Lormes.
Ce jour de 1944, 55 maquisards et 200 soldats allemands s’affrontent dans les rues du village, brutalement basculé dans la sauvagerie de la guerre. Jacques Laclaverie, 11 ans à l’époque, se souvient : « À la sortie de l’école, les Allemands nous ont sortis sur la place, puis ils nous ont chassés. Je suis rentré chez mes grands-parents, route d’Avallon. Ça a canardé tout l’après-midi. »
Quatre maquisards et quatre habitants ne s’en relèveront pas : « Il y en a un qui faisait partie des otages dans la mairie. Ils devaient garder les mains en l’air. Lui les a baissées pour ramasser son mouchoir ; les Allemands l’ont abattu. » Robert Baudry, Jean Olivier, Paul Pozzi, Robert Fouquet, Pierre Lanchantin, André Chossefoin, Claude Colas, Pierre Petit : les noms en lettres dorées sur pierre noire sont fixés pour l’Histoire sur la façade de la mairie.
Inhumé dans le cimetière de Lormes, où l’époustouflant panorama sur le Morvan tend sa maigre consolation aux pleurants, Paul Pozzi, dit Raoul, entré en Résistance au maquis Camille, était fils d’avocat et poète. Au pied de la mairie, sur un panneau retraçant les événements, étape des « Chemins de mémoire » (1) de la Résistance en Morvan, le frisson de ses mots prémonitoires : « Je voudrais mourir un grand soir / Parmi les balles, la fumée / Être une clarté consumée, / Par le néant dans un trou noir / Me dresser, rieur sur la crête, / Où la mort passe en miaulant / Et redescendre tout sanglant, / Le corps troué, mais l’âme en fête. »
Sa tombe a été la première fleurie, mercredi matin, par Christian Paul, maire de Lormes, Fabien Bazin, président du Conseil départemental, et Jean-Philippe Sourd, président de l’Amicale du maquis Camille. Dans la douceur du matin, le cortège s’est arrêté devant cinq autres sépultures de résistants : Jean Perreau, Roger Tartrat, Albert Quatrain, Elie Rebeillard et Paulette Lantier. Devant la tombe de l’institutrice de Lormes, la fille de Jean-Philippe Sourd, Juliette, lit le poème de Paul Eluard, Liberté. « J’ai pensé que cela avait plus de sens si c’était elle qui le lisait », explique son père.
« Cette journée dépasse notre terre morvandelle »
Le cortège se disperse pour se retrouver, une demi-heure plus tard, parmi la foule devant la mairie. Après le dépôt de gerbes devant la plaque « In memoriam », Christian Paul prend la parole pour rappeler « l’extraordinaire et terrible tragédie » vécue par Lormes le 12 juin 1944, la rage des Allemands qui prennent des dizaines d’otages ; héros de la Première Guerre mondiale, Adrien Silvain parlemente avec les occupants et « évite un massacre » (2). Le calme revient après quelques heures de terreur, mais le village en garde « la trace pour toujours » : « Nous ne devons pas accepter que les années puissent effacer le souvenir des hommes et des événements. Les morts du 12 juin ont droit à l’Histoire. Se souvenir, ce n’est pas un rituel qui serait dénué de sens. »
Quatre-vingts ans plus tard, l’oubli est impossible, impensable : « Ces morts sont tombés face à une idéologie aveugle, le nationalisme, la haine. Cette idéologie n’a pas disparu. Je ne doute pas qu’il faille encore parler de collaboration, de fascisme, de racisme, de rejet de l’autre. Ceux qui croyaient, après la fin de la guerre, à la paix éternelle ont été cruellement démentis. » Ex-Yougoslavie, Ukraine, Israël, Palestine, de guerre civile en invasion, de terrorisme en crimes de guerre, l’histoire récente et l’actualité brûlante ramènent le 12 juin 1944 à fleur de mémoire : « Cette journée dépasse notre terre morvandelle. »
Symboles d’une transmission à l’œuvre, les élèves du collège Paul-Barreau, serrés sur les marches de la mairie, présentent le fruit du travail mené avec leurs enseignants et Aurore Callewaert, directrice du musée de la Résistance en Morvan et du Mémorial de Dun-les-Places : une bande dessinée et des textes, issus d’un atelier d’écriture et lus avec une ferveur adolescente. Accompagnés par la batterie municipale et le chanteur Jean-Michel Grandjean, qui interprète La Plaque, sa chanson hommage au 12 juin 1944, les collégiens referment la cérémonie sur un poignant Chant des partisans.
En savoir plus : tout le programme du 80e anniversaire de la Libération et du souvenir des villages martyrs du Morvan est disponible sur www.museeresistancemorvan.fr
1. Une trentaine de sites (stèles, cimetières, plaques, monuments, etc.) conduisent les visiteurs sur les « Chemins de mémoire » de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance dans le Morvan. Ils composent un parcours mémoriel avec le musée de la Résistance en Morvan, à Saint-Brisson, et le Mémorial de Dun-les-Places.
2. L’allée Adrien-Silvain a été inaugurée mercredi après-midi, avant une table ronde sur l’histoire de la Résistance animée par Aurore Callewaert, aux côtés de l’historien Jean Vigreux et des auteurs Thierry Martinet, Jean-Charles Gibaud et Ilker Caliska.