Dans le flou des souvenirs reconstitués, le miroir-mon-beau-miroir de l’iPhone ou l’échappée de la nuit, l’identité se recompose, se démultiplie. En écho à la thématique de la saison de La Maison à Nevers, l’exposition Identités aborde le mystère du rapport à soi à travers le regard de trois jeunes artistes, Émeline Degraeve, Ella Duret et Laurent Poisson. Trois variations en grands formats figuratifs, qui mêlent sensualité et spiritualité, onirisme et narcissisme, à découvrir jusqu’au 12 avril.
Pour sa saison 2023-2024, La Maison tisse le « fil rouge » de sa thématique, Identités, pour créer des correspondances entre spectacles et expositions, éphémère et durable. Après Les Forains viennent toujours d’ailleurs, le vaste espace de la galerie Montchougny ouvre ses flancs aux œuvres de trois jeunes artistes, les Belges Émeline Degraeve et Ella Duret et le Français – vivant à Bruxelles – Laurent Poisson.
Venus de la capitale belge pour le vernissage, tous trois ont autant apprécié l’ampleur du cadre que l’entrecroisement de leurs toiles, et de leurs regards, sous la bannière « Identités ». Un thème qui ne guide pas nécessairement leur quête artistique mais dans lequel ils s’imbriquent à l’aise et juxtaposent la singularité de leur univers. Avec ses personnages sans visage semblant flotter dans l’immensité de la toile, Émeline Degraeve promène le spectateur sur le fil d’une introspection mélancolique. Née aux Etats-Unis, elle en est partie à trois ans, sans le moindre souvenir de ce début de vie. Alors elle le réinvente aux forceps de l’art, à partir de photographies tirées de l’album familial : « J’ai une fascination pour ce rapport à ma petite enfance ; j’aurais aimé me rencontrer quand j’avais trois ans. » À quoi songeait-elle quand elle visitait le Grand Canyon en famille ? Ou devant ces troncs géants de conte de fées ? Le mystère l’obsède, comme il obsède quiconque se replonge dans un album, recherche les sensations sous son visage lisse d’ancien poupon : « Ce sont des moments intimes, mais pas des autoportraits. » Si ses personnages n’ont pas de visage, c’est pour « appeler le spectateur à se projeter ».
Les toiles d’Ella Duret ont elles aussi un air de famille. La pose, toujours soignée, souvent sensuelle, devant un miroir, la main immuablement calée à hauteur de plexus, pour un geste devenu familier : l’autoportrait au smartphone. « Ce qui m’intéresse, c’est le regard de l’autre, ou plutôt la valorisation à travers le regard de l’autre. Comment on se donne en image, comment on se crée une identité », explique la jeune femme. Pour créer sa série baptisée Third Eye, elle a puisé ses modèles à la source : « Ce sont des photos trouvées sur Instagram. Avec Internet, on n’a plus la même approche de la peinture, le monde vient à nous sur un petit écran. Ces images ont en commun un côté pictural, un idéal de beauté qui revient. »
Comme l’immense majorité des artistes, Ella Duret expose son travail sur les réseaux sociaux : « Je ne poste pas beaucoup, j’ai un usage moins addictif qu’avant ; on est tout le temps dessus, c’est un mélange de narcissisme et de voyeurisme. Mais c’est grâce aux réseaux sociaux que je suis là. Christophe Vootz (l’orchestrateur des expositions de La Maison, NDLR) m’a contactée après avoir découvert mon travail sur Instagram. » Dans un « creux » créatif depuis la fin de sa série Third Eye, en mai 2023, elle savoure son bref séjour à Nevers : « C’est intéressant de voir différentes approches du thème des identités. Je n’aurais pas forcément fait le lien avec ma peinture, mais je m’y retrouve bien. Et je trouve que l’exposition rend bien, elle est super aérée. »
Sur les hauts murs noirs de la galerie Montchougny, les toiles de Laurent Poisson accrochent l’œil autant que la lumière. Par l’éclat des couleurs, l’intensité des bleus et des jaunes qui prend à revers le titre de sa thématique, Voyage au bout de la nuit. La nuit bruxelloise, masculine, « queer », des repères fondus et des frontières abolies, des embardées mystiques, aussi. L’homo-érotisme éthéré s’y imprègne de spiritualité, héritée de son « éducation religieuse », et de références aux « primitifs italiens, Fra Angelico et Giotto », mais aussi aux « antiquités égyptiennes ». Et des clins d’œil à la géographie bruxelloise, comme ce baiser devant la porte de Hal, hommage direct à la Rencontre à la Porte dorée de Giotto : « Je me suis formé en tant qu’artiste à Bruxelles, et j’ai eu le coup de foudre pour cette ville, pour sa diversité culturelle, son caractère cosmopolite, sa dimension humaine. »