Ce fut « carpe magnissimum diem » pour Kevin Carrico et Julien Charrais, samedi 23 septembre au lac de Pannecière. Le binôme français a atteint son Graal, en devenant champion du monde de pêche à la carpe après 72 heures de compétition non stop. Le titre console l’équipe de France, qui a laissé filer l’or dans les dernières minutes de la compétition. Place désormais aux femmes, pour les 3es championnats du monde, du 26 au 29 septembre.
Devant le gymnase de Château-Chinon, théâtre de la cérémonie de clôture des championnats du monde de pêche à la carpe, c’est une Babel de langues, de tenues officielles et de drapeaux qui se mêle. À quelques mètres de la délégation ukrainienne, qui chante l’euphorie de sa victoire par équipes, Kevin Carrico et Julien Charrais ont le triomphe invisible, l’exultation rentrée. Sans doute parce que leur titre de champions du monde par binômes (1) n’adoucit qu’en partie la frustration d’avoir laissé échapper le sacre par équipes sur le fil. Sans doute, aussi, parce qu’ils n’ont pas encore pris la mesure de leur exploit : « Tout à l’heure, quand on a appris qu’on avait gagné, les nerfs ont lâché. Mais on ne réalise pas », souffle Kevin Carrico.
Aussi brun et blond que Starsky et Hutch, les deux trentenaires de la région tourangelle sont inséparables au bord de l’eau depuis quinze ans. Et même avant : « On était amis avant de commencer à pêcher. » Leur complicité a été l’une des clefs de leur succès : « On n’a pas besoin de se parler, chacun sait ce que l’autre va faire. On a le même sens de l’eau », image Julien Charrais.
Le duo s’est entraîné « toute l’année » à Pannecière, cadre retenu pour les championnats du monde. La chance a fait le reste ; le tirage au sort l’a placé sur un poste où il s’était entraîné, un mois plus tôt : « On a fait un enduro carpe presque au même endroit, et on l’a gagné. Alors on avait nos repères, on savait comment aborder la compétition. Tous les voyants étaient au vert. » En tête dès le début du championnat, le 20 septembre, Kevin Carrico et Julien Charrais ont tenu bon : « On a eu beaucoup d’avance le premier jour, mais dès le lendemain, avec la pluie et le vent, tout a changé. Les entraînements nous ont été précieux, parce que chaque jour était différent, on ne pouvait pas rester sur nos acquis, c’était une remise en question permanente. »
Jusqu’à samedi, 12 h 30, terminus des Mondiaux, le binôme français a résisté à la remontée de ses concurrents : « Ce titre, c’est la récompense de beaucoup de travail, beaucoup d’efforts. On sait qu’on a fait quelque chose d’exceptionnel. Et le faire en France, ça n’a pas de prix. C’est un Graal, il n’y a pas plus haut que cette récompense », relève Julien Charrais. Lucide, le duo d’amis sait que son titre de champion du monde ne va pas bouleverser son quotidien : « Lundi, on va retourner au travail », sourit Kevin Carrico.
En attendant, tous deux savourent, reçoivent fièrement les félicitations, les tapes amicales et les demandes de selfies des adversaires. Et se lâchent, enfin, sur la plus haute marche du podium, énorme coupe dans une main, un bouquet de fleurs dans l’autre, et s’époumonent sur la Marseillaise. Dans la salle, les 32 délégations, les bénévoles, les officiels et les partenaires sont au coude à coude autour des tables : « On a réuni 32 nations, c’est un record qui sera difficile à battre », souligne Jacques Goupil, président de la Fédération française de pêche sportive. Son vice-président coordinateur de l’organisation, Fernand de Castro, fait applaudir les 150 bénévoles : « Sans vous, on n’aurait rien pu faire. »
« C’était un très beau championnat du monde », apprécie Frédéric Potiquet, l’un des leaders de l’équipe de France, fair play après un scénario cruel qui a vu les Bleus mener pendant 70 heures avant de craquer dans le sprint final face aux Ukrainiens : « On termine vice-champions du monde, comme en 2014 et en 2020 », soupire le pêcheur, qui a passé six semaines d’entraînement intensif à Pannecière, depuis mai, avec ses coéquipiers. « Il n’y a pas de lac aussi poissonneux en Europe », assure-t-il.
« Pannecière, c’est le paradis du carpiste », affirme Jean-Christophe, venu vendredi après-midi en voisin, de Saint-Hilaire-en-Morvan, regarder la compétition. « Il y a des techniques différentes selon les pays, c’est intéressant. » Sur la rive opposée, un binôme français est entouré de spectateurs particuliers : « Ce sont les adversaires qui filment, pour contrôler qu’il n’y a pas d’irrégularités. S’il y en a, ils vont déposer des réclamations auprès des arbitres. » « C’est sûr qu’on n’est pas dans la pêche de loisir », glisse avec un sourire pincé Frédéric, de Pougues-les-Eaux. « Je ne suis pas un carpiste, je préfère la pêche aux carnassiers, mais ce n’est pas tous les ans qu’on a un championnat du monde dans la Nièvre. C’est à voir, quand même. »
Et à revoir en version féminine, à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 29 septembre. Les huit nations en lice, dont la France, pour les 3es championnats du monde féminins ont défilé dans les rues de Château-Chinon, lundi 25 septembre, en prélude à la cérémonie d’ouverture qui s’est tenue dans la salle Louise-Michel, en présence de Lionel Lécher, vice-président du Département en charge des sports.
1. Chaque équipe est composée de trois binômes (et de leurs remplaçants). Sont sacrés les champions du monde par équipe, et par binôme.
Classement par binômes :
1ers, Kevin Carrico et Julien Charrais ; 2es, Tibor Gaal et Zoltan Nagy (Hongrie) ; 3es, Lauras Karbauskas et Arunas Paluckas (Lituanie).
Classement par équipes :
1ère, Ukraine ; 2e, France ; 3e, République tchèque.