C’est au bout d’un ruban de bitume et d’herbe qui serpente dans un pli de Nièvre, entre Brinon-sur-Beuvron et Corbigny. À l’écart de Champallement, autrement dit loin de tout, Compierre se mérite. Perdues dans un bois magnétique que domine un tilleul colossal, les ruines d’une cité gallo-romaine sans nom ont commencé à être mises au jour au XIXe siècle. La mémoire d’une ville de 1 000 ou 2 000 habitants vidée de toute vie au IVe siècle, dont subsistent des vestiges d’ateliers et de temple, l’empreinte d’un théâtre. Les Amis de Compierre entretiennent et font visiter un site fascinant, insuffisamment connu.
Simple évasement de la départementale qui descend à sens unique depuis la route Champallement-Saint-Révérien, le parking minimaliste de Compierre donne le ton. Aussitôt confirmé par un panneau antique du « ministère des Affaires culturelles » verdi de mousse. La « bourgade gallo-romaine » qui s’étendait là n’a décidément pas l’éclat touristique d’Autun et de Bibracte, ses prestigieuses cousines morvandelles.
Moins spectaculaire que la première, moins prisée des archéologues et des scientifiques que la seconde, la cité disparue se pare pourtant d’un charme puissant, d’une aura de mystère et de romantisme qui envoûte ses visiteurs. La forêt qui recouvre ses vestiges, son silence si loin de la civilisation, à peine rayé par le staccato d’un pivert, l’ascétisme de la signalétique : tout concourt à une recherche d’un temps perdu. Celui d’une ville qui n’a même pas légué de nom à l’Histoire, simplement qualifiée de « gros bourg » par Jules César dans sa Guerre des Gaules.
Sur la voie romaine reliant Augustodunum (Autun) et Intaranum (Entrains-ur-Nohain), la future Compierre a existé du Ier siècle avant J-C au IVe siècle après J-C. Mille à deux mille personnes y vivent. Pour une raison encore inconnue, les habitants se volatilisent au IVe siècle, emportant tous leurs biens. Les bâtiments sont démantelés peu à peu, siècle après siècle, leurs matériaux recyclés dans les constructions des villages alentour. Ne restent que les fondations.
La ville disparaît du paysage, et des mémoires, jusqu’à 1824. Un géomètre, M. Mélines, achète la forêt, tombe fortuitement sur un puits, et commence à fouiller. Compierre est réveillée, et se révèle, lentement, au gré des campagnes menées au coup par coup. La dernière en date, entre 1969 et 1981, est menée par Jean-Bernard Devauges, directeur régional des Affaires culturelles, qui se prend de passion pour ce site. Soucieux de pédagogie, il fait aménager le premier circuit balisé, pour que le site devienne un lieu de promenade, et crée l’association Les Amis de Compierre.
En 2002, le jeu télévisé La Carte aux trésors donne un inespéré coup de projecteur médiatique sur un lieu jusqu’alors connu des initiés, et de quelques poignées de Nivernais. La foule se précipite pour voir l’atelier du tabletier, la maison du boucher, le temple, ou du moins leurs fondations exhaussées par des petits murs de pierres maçonnées grâce à des artisans du cru.
Effort d’imagination et magie du verbe
La ville-rue qui s’étirait sur 800 mètres de long et 100 à 200 mètres de large est loin d’avoir livré tous ses secrets : « On a fouillé moins de 10 % du site », explique Emile Vieillard, président des Amis de Compierre et guide bénévole. Absorbés par les fouilles préventives des constructions et des routes, les archéologues n’ont plus de temps à consacrer à des lieux comme Compierre, dont même les chasseurs clandestins de trésors ont fini par détourner leurs détecteurs de métaux.
Si la vision la plus impressionnante de la visite est un gigantesque tilleul au tronc massif, qui devait pousser ses premières frondaisons quand M. Mélines grattait le sol voisin, si tout ce qui dépassait du sol il y a seize siècles a disparu, s’il faut faire un sévère travail d’imagination pour reconstituer dans une pente arrondie peuplée d’arbres un théâtre qui accueillait 3 000 à 5 000 spectateurs, l’ancien professeur de sciences physiques reconstruit la ville avec la magie du verbe, son talent de conteur et son attachement sincère pour cette cité perdue.
Dernier des sept guides de l’association formés à Bibracte, il veille aussi à l’entretien du site, dont les parties aménagées en circuit balisé retourneraient promptement aux ronces et aux fougères s’il ne passait régulièrement débroussailler « avec des amis, mais pas des amis Facebook, hein » avant de partager un solide casse-croûte à proximité du forum – aujourd’hui une vaste clairière où se dressait le temple.
Gardiens et défenseurs de Compierre, les 80 Amis et leur président espèrent quelques aménagements pour mieux recevoir le public : un « vrai » parking et la transformation de la « cabane de chantier de M. Devauges » en local d’accueil pour les scolaires. La communauté de communes Tannay-Brinon-Corbigny négocie avec l’État, propriétaire du site, pour acquérir l’emprise foncière et doter Compierre d’un lieu de médiation qui, vingt ans après La Carte aux trésors, pourrait lui donner un nouveau souffle touristique et pédagogique.