De l’Abbaye de Corbigny au site archéologique de Compierre en passant par l’internat d’excellence du collège Noël-Berrier et la Transverse, la culture en ruralité s’est montrée sous ses plus beaux atours pour Aymée Rogé, directrice de la direction régionale des Affaires culturelles (DRAC). Sa visite immersive, aux côtés de Fabien Bazin, président du Conseil départemental, et des élus locaux, a rappelé l’importance de l’accès à la culture pour tous, dès le plus jeune âge, et la nécessité de soutenir ses acteurs et ses bastions.
Des graines de danseurs en ouverture, et un site archéologique millénaire en clôture, des arts bien vivants et un patrimoine qui ne demande qu’à se révéler, telle était la vue en coupe de la culture rurale déroulée à Aymée Rogé, directrice régionale des Affaires culturelles, en tournée pour une journée dans la communauté de communes Tannay-Brinon-Corbigny. Avec, d’un bout à l’autre de la balade immersive, des instantanés de grâce et de magie que la responsable de la DRAC a cueillis avec un plaisir manifeste, saluant à l’envi la vitale nécessité de la culture en ruralité.
Première étape, dans le studio de danse de l’Abbaye de Corbigny, où les 24 élèves de l’école de Cervon peaufinent leur spectacle avec Serge Ambert, chorégraphe des Alentours rêveurs. « On a des spectateurs, hein, vous avez vu, ça fait peur », sourit le fondateur de la compagnie de danse contemporaine qui laboure la région corbigeoise pour y semer des arts avec une douzaine d’autres compagnies, fédérées en Cultiv’acteurs et autre Ruche en mouvement.
Pas impressionnés par le cortège d’officiels – élus et techniciens – assis sur les gradins, les enfants se lancent au son de la musique, se croisent, se portent, sautillent, appliqués et rayonnants. « On fait un travail de conscience du corps, de langage du corps », explique Serge Ambert. « Beaucoup de choses sont composées à partir d’improvisation. Le but est de laisser le plus de liberté possible et de spontanéité. » Un des jeunes danseurs s’emballe : « J’aime bien quand on fait le tourbillon. » « Moi, c’est quand on se porte », rebondit un camarade. Douze séances, jusqu’à la représentation finale du 27 juin, ont mobilisé sans peine les écoliers de Cervon et leurs professeurs, dans le cadre du Contrat local d’éducation artistique (CLEA) signé pour deux ans par la DRAC, l’Éducation nationale, le Département et la communauté de communes.
« Il y a quelque chose à inventer ensemble, un modèle rural d’éducation et d’accès à la culture », souligne Fabien Bazin, président du Conseil départemental. Un modèle qui passe par la sauvegarde des écoles rurales, laminées chaque année par la carte scolaire : « Si des projets comme ceux du CLEA existent, c’est lié à l’avantage d’avoir de petits effectifs. Et cela pose la question des moyens humains : on ne peut pas réduire l’offre éducative et en même temps avancer sur l’accès à la culture. Dans ce domaine, un coup d’accélérateur doit être donné, et il est plus que nécessaire dans la période compliquée que nous traversons. Le système éducatif doit être revisité du sol au plafond : l’Éducation nationale ne se vit pas de la même façon à Paris ou à Dijon qu’à Nevers, Corbigny ou La Machine. »
« Ce que l’on vient de voir est enthousiasmant, ça rassure », acquiesce Pierre N’Gahane, recteur d’Académie. « Il y a très certainement matière à copier ce qui se fait dans le territoire rural. » Traçant un parallèle avec les portés du spectacle, Aymée Rogé y voit quant à elle une métaphore des partenariats entre l’État, les collectivités locales, les acteurs culturels, les communautés éducatives : « Nous nous supportons tous, nous nous soutenons mutuellement au bénéfice des enfants. » Et de rappeler que « la DRAC juge les territoires ruraux prioritaires ».
Avec son essaim de propositions artistiques en danse, musique et jeune public, la Ruche en mouvement donne un peu plus d’ampleur à la vitalité culturelle qui palpite depuis des années dans la région corbigeoise. Et s’implique naturellement dans le CLEA. « On crée des ponts avec les écoles », explique Serge Ambert, soulignant les bienfaits sur les élèves d’une exposition régulière au spectacle vivant, ainsi démythifié et débarrassé de sa gangue d’étrangeté : « Des enfants voient trois spectacles de danse dans l’année. On sent chez eux une attention plus forte, ils vivent les émotions avec davantage d’intensité. »
La Transverse, arts de la rue et chemins de traverse
Après l’inauguration de l’internat d’excellence du collège Noël-Berrier, dont les futurs pensionnaires bénéficieront d’une ouverture au champ des possibles culturels de Corbigny et de ses alentours, Aymée Rogé a rallié la Transverse, lieu singulier de création artistique dédié aux arts de la rue. De l’ancienne usine Photosacs, devenue friche industrielle dans les années 80 puis dépôt pour artisans locaux avant d’être investie par Metalovoice en 2004, il reste un vaste bâtiment aux toits en sheds rempli de matériels et d’éléments de décors. Côté rue, une partie de l’usine a été remplacée par une haute construction aux murs noirs et feu, où s’épanouissent les projets de l’association et des compagnies en résidence.
Accueillie par Sébastien Ramillon, « paysan, éleveur et président de la Transverse », et Pascal Dores, directeur historique de l’association et fondateur de Metalovoice, Aymée Rogé a découvert la genèse et la vie d’un lieu qui s’ouvre à « 20 compagnies par an, pour 200 jours de résidence », et multiplie les actions culturelles en direction de tous les publics, de la maternelle à l’EHPAD. Sans oublier une programmation qui attire « 3 000 à 4 000 personnes sur la saison ». Membre du Club des Six, réseau de structures d’arts de la rue de Bourgogne-Franche-Comté, et de Rayon C, plateforme régionale des arts du cirque, la Transverse a reçu un « coup de pouce » de la DRAC et du Département pour transformer deux de ses postes d’intermittents en CDI.
« Le soutien de la DRAC était indispensable pour sortir la Transverse de la précarité et lui donner une visibilité et une sécurité », pointe Wilfrid Séjeau, vice-président du Département en charge de la culture. La signature de la convention pluriannuelle d’objectifs avec la DRAC et le Département ancre ce « soutien » sur le long terme revendiqué par Aymée Rogé : « C’est important de vous soutenir. Cette convention illustre l’attention que l’on porte à une politique culturelle ambitieuse pour les territoires ruraux. La ruralité est une richesse pour notre région, et ce maillage territorial, cette proximité font l’attrait de la Bourgogne-Franche-Comté. Je vous remercie de tout ce que vous faites ; nous vous aidons à aider ces territoires. » Des louanges douces aux oreilles de la Transverse, qui vise le Graal d’une entrée dans la cour des grands, les Centres nationaux d’arts de la rue et de l’espace public (CNAREP), label attribué par le ministère de la Culture.
Compierre, site magnétique à haut potentiel
À une douzaine de kilomètres de Corbigny, au bout d’une petite route affublée d’une iroquoise crête d’herbe, le site archéologique de Compierre, sur la commune de Champallement, garde son charme au sec sous la pluie. Une vaste clairière entourée d’une fratrie d’arbres protecteurs, un sol où affleurent les fondations de bâtiments gallo-romains perdus – et, selon la légende, recyclés il y a des siècles en carrière pour les maisons du coin et même l’église de Saint-Révérien : il faut imaginer la ville de 2 000 à 3 000 habitants qui prospéra là entre le Ier siècle avant Jésus-Christ et le IVe siècle avant de disparaître du paysage et des mémoires pendant près de 1 500 ans.
« C’est un géomètre, devenu propriétaire de la forêt, qui découvre un puits en 1824. Il gratte un peu autour, et trouve des fondations. C’est le réveil de Compierre », narre Émile Vieillard, volubile président des Amis de Compierre. Il faut encore attendre près de 150 ans pour qu’un directeur de la DRAC, Jean-Bernard Devauges, « tombe amoureux » du site et orchestre de solides campagnes de fouilles.
Fascinant, énigmatique, Compierre n’a ni la renommée d’Autun ni l’engouement de Bibracte. « C’est un lieu de ralliement un peu magique », souligne Fabien Bazin. Des spectacles s’y jouent de temps à autre, captant l’atmosphère magnétique d’une mémoire enfouie, d’une tranche d’humanité retournée à l’état de nature. La communauté de communes Tannay-Brinon-Corbigny en a fait l’un de ses trois points d’attraction prioritaires, avec l’Abbaye de Corbigny et le vignoble de Tannay. Pour sortir d’une semi-confidentialité aussi épaisse que l’armure verte entourant Compierre, les élus et l’association attendent de l’État, propriétaire du site, l’autorisation de mener quelques aménagements extérieurs, à commencer par un véritable parking, et surtout le transfert de l’emprise foncière à la communauté de communes, qui souhaite construire un « lieu de médiation », comme l’a expliqué son président Jean-Charles Rochard.
« Merci de m’avoir invitée sur le terrain de l’Etat », répond avec humour Aymée Rogé. « C’est intéressant de visualiser le site. » Pour la première requête, la représentante de l’État a invité la communauté de communes à adresser une demande d’autorisation de travaux à la DRAC. Quant à la cession, c’est au ministère de la Culture que reviendra la décision, après avis de la Commission nationale des Monuments historiques. Mais la directrice de la DRAC a laissé un message d’espoir avant de regagner Dijon : « Rien ne s’oppose à un éventuel transfert. »