Pendant des décennies, les haies qui délimitaient les parcelles ont été rasées au rythme des remembrements, de la mécanisation et de l’extension des propriétés. Avec elles ont disparu des corridors écologiques, des remparts contre le vent et l’érosion des sols, et un patrimoine séculaire de marqueterie bocagère. Une erreur funeste dont revient peu à peu le monde agricole, incité à replanter des haies et à les exploiter de façon raisonnée. Exemple à Saint-Malo-en-Donziois, qui tient à son bocage et chérit sa centaine de mares, comme ont pu le vérifier in situ les participants d’un récent Climatour.
Un parfum chaud d’herbe coupée accompagne le groupe du Climatour jusqu’à la mare promise. Sous ce soleil de fin mai aux prétentions aoûtiennes, le couloir de haies offre une ombre bienvenue. Une famille de ragondins s’éclipse discrètement, au passage des intrus, et disparaît dans un enchevêtrement de branches mortes. Une mare à gauche, une autre à droite, en à peine deux cents mètres, illustrent la singularité de Saint-Malo-en-Donziois, village en retrait de la N151 filant droit entre Châteauneuf-Val-de-Bargis et Varzy : « Nous avons 96 mares », explique en souriant le maire Pascal Fassier. « Nous venons d’en restaurer 16. »
Grâce au contrat territorial Vrille-Nohain-Mazou, qui a mobilisé les 27 000 € de crédits et de subventions nécessaires, la commune a pu entretenir ces points d’eau menacés par l’envasement, comme le précise la technicienne Céline Daroux aux participants du Climatour : « Le contexte bocager est très bien conservé ici. » Près de la mare posée comme un sombre saphir au milieu d’un pré, un concerto d’amphibiens ponctue ses explications, tandis que le vol géométrique des libellules confirme les vertus du point d’eau pour la santé de la biodiversité.
« Nous veillons sur ces milieux humides qui nous apportent beaucoup », souligne Pascal Fassier. Si la géologie locale est propice à l’épanouissement des mares, avec un sol piégeux qui fait son miel de la moindre averse, le changement climatique impose en effet une vigilance pour préserver ces oasis. Abreuvoirs pour le bétail et la faune sauvage, les mares de Saint-Malo sont constitutives du patrimoine communal, au même titre que les haies dont la fraîcheur escorte les nombreux chemins de randonnée.
Empêcheuses de labourer en rond
Tourisme, environnement, culture, agriculture… Les bonnes raisons d’entretenir les mares et les haies, de les restaurer voire de les recréer, ont alimenté les réflexions préalables à la visite sur le terrain, selon le diptyque classique du Climatour passant de la théorie à la pratique. Dans la salle de la mairie, une vingtaine de personnes ont d’abord écouté Perrine Lair, chargée de mission Bocag’Haies d’Alterre Bourgogne-Franche-Comté, détailler les arguments en faveur des haies. Longtemps vues comme des empêcheuses de labourer en rond, ces frontières séculaires des parcelles agricoles ont payé au prix fort les remembrements, la mécanisation et l’accroissement des propriétés.
« La Bourgogne a perdu 38 % de ses haies entre 1955 et 2005 », résume Perrine Lair. Et même si, depuis plusieurs années, la plantation de haies est encouragée, le mouvement de destruction continue, comme le montrent les données nationales : « Le bocage a régressé de 10 400 km/an entre 2006 et 2014, et de 23 500 km/an entre 2017 et 2021. » Face à ce déclin, les 348 km de replantations réalisés ou prévus depuis 2021 dans le cadre du programme régional « Plantons des haies » peuvent sembler chétifs, mais ils attestent une prise de conscience, en germe depuis 2005 et le premier appel à projets « Bocage et paysage ».
« La haie représente une protection sociale contre la chaleur, mais elle est aussi un élément d’attractivité territoriale », pointe Perrine Lair. « Une étude a montré que pour les touristes, le premier argument de leur venue en Bourgogne, ce n’est pas le vin, mais le paysage, et donc le bocage et les haies. » Celles-ci abritent des ravageurs, qui pourraient contrarier les agriculteurs, mais « encore plus d’auxiliaires » qui luttent contre lesdits ravageurs. Brise-vent, « corridors écologiques », les haies multiplient les atouts pour la qualité des sols, en bloquant l’érosion et en filtrant les eaux.
Les chênes isolés, « fantômes de haies » en sursis
Éléments distinctifs des paysages ruraux, les chênes isolés au beau milieu des champs et des prés ne sont pas là par hasard : « Ce sont des résidus de haies, des fantômes de haies », précise joliment la chargée de mission. « C’est une image emblématique qui va disparaître. » Et de reconnaître que la perception négative de la haie est encore tenace dans le monde agricole, imprégné des anciennes campagnes d’incitation à l’arrachage au slogan sans ambages : « Agriculteurs, vous perdez de l’argent. » Perrine Lair conclut, optimiste : « Si la haie redevient utile pour la collectivité et pour les agriculteurs, elle sera moins arrachée. »
Prenant le relais, Étienne Bourgy, chargé de mission Énergies et Agroforesterie à la Chambre d’agriculture de la Nièvre, a montré les pistes de valorisation qu’offre le bois prélevé dans les haies grâce à une gestion raisonnée et planifiée : bois énergie autoconsommé ou vendu en alternative au fioul ou au gaz, transformation en copeaux pour la litière du bétail. « Les agriculteurs voient la haie sous un autre œil. Ce n’est plus une charge, mais un produit », explique-t-il, chiffres à l’appui : « Il y a 280 chaudières à bois agricoles en Bourgogne, dont 125 dans la Nièvre. » Et dans un contexte de canicules annuelles de plus en plus longues et sévères, la haie retrouve un statut de poids : « Il faut de l’ombrage dans les parcelles pour améliorer le bien-être animal. »
Animatrice régionale de l’Office français de la biodiversité (OFB), Emmanuelle Thooris a conclu les présentations en rappelant que la multiplicité des milieux était indissociable de celle des espèces et de leur génétique : « Nous vivons actuellement deux crises majeures, le changement climatique et le déclin de la biodiversité, ce que l’on appelle la sixième extinction de masse. On assiste à une simplification et à une homogénéisation des milieux. Or, sans biodiversité, nous ne pourrions pas vivre. »