Son rêve d’étudiant en musique se réalise vingt ans plus tard. Au bout d’un chantier effréné, le jazzman nivernais Benjamin Flament a fait naître la Grange de l’Oiseau bleu dans une aile de la maison de famille, à Arthel. Un lieu de création artistique imprégné d’histoires et d’émotions inauguré les 17 et 18 mars, avec le concert de Marion Rampal et Isabel Sörling, tout simplement les Victoires du jazz 2022 et 2021 dans la catégorie « artistes vocales ».
Sa voix tremble mais ne flanche pas. En ce soir du 17 mars, avant de céder la place à Marion Rampal et Isabel Sörling, artistes vocales dont la simplicité tranche avec le CV (respectivement Victoires du jazz 2022 et 2021, rien de moins), Benjamin Flament voit défiler sous ses yeux toutes les années qui ont mené à ce moment, l’inauguration de la Grange de l’Oiseau bleu, en plein cœur d’Arthel. Un lieu de création artistique qui n’a rien de commun ; derrière le bois bardant les murs, sous le béton du sol adouci de tapis côté scène, c’est son histoire familiale qui bruisse et circule.
« Ma grand-mère paternelle vivait ici. C’est une maison de famille à laquelle je suis hyper attaché », expliquait le percussionniste de jazz quelques jours plus tôt, dans la dernière ligne droite d’un chantier qui a duré deux ans et demi : « C’est le Covid qui a lancé ce projet, auquel je pensais quand j’étais étudiant en musique. » Le jeune quadra, qui vit en famille à Nevers et court le monde avec ses formations jazz (voir encadré) rafraîchit d’abord la maison de bourg, restée dans son jus pendant des décennies, avant de se pencher sur l’écurie. « J’avais un studio parfait à Nevers, chez moi, mais il a été endommagé par des remontées capillaires. Je n’avais plus d’espace de travail. Je suis venu travailler dans cette maison, à Arthel, avec le groupe Farmers, et mon entourage me disait que je revenais plus serein. »
L’idée de donner une seconde vie à cette « retraite », où Benjamin Flament s’était réfugié plus jeune après le décès de son père, fait son chemin. Autour de lui, la famille, sa mère, son frère, son épouse, les amis de sa compagnie Green Lab (dont le président Fabien Guenot, inséparable copain depuis l’adolescence), les voisins d’Arthel, les chantiers participatifs fédérant les bonnes volontés, tout s’orchestre comme par magie pour une restauration d’ampleur, qui a fait partie des lauréats du Budget participatif nivernais du Conseil départemental, et de l’appel à projets ENVI de la Région (1).
« Ici, ce sera avant tout un lieu de création artistique, de travail du répertoire, où on peut écrire, chercher. Et il y aura aussi des résidences de compagnies extérieures, qui se termineront par des restitutions au public, et aussi quelques concerts. » La salle de 15 mètres par 4,5 peut accueillir jusqu’à 98 personnes debout.
Aire de travail, de création et de résidence, la Grange de l’Oiseau bleu décolle pour l’azur de l’art tout en gardant les pieds sur la terre d’Arthel, où son grand-père, Pierre Flament, faisait danser les fêtes à la vielle et au violon, sous le surnom d’Oiseau bleu : « On va mettre en place un comité de pilotage, avec les habitants. Je suis un enfant du pays, et je veux consulter les gens, ne pas être déconnecté, ne pas les braquer. On a des idées plein la tête. Tout est à construire, l’envie est là. » Les liens sont déjà noués avec les acteurs culturels locaux, Annie Jeanneret et son Centre artistique d’Arthel, Alfred Alerte et sa Bergerie de Soffin, à Authiou.
Pour l’inauguration, les 17 et 18 mars, Benjamin Flament a veillé à donner la primeur de l’information aux Arthelois : « Je vois plus de gens ici que quand je suis à Nevers. Il y a les voisins qui passent, et puis Philippe, quelqu’un qui est très précieux, qui a une solution à tout. On n’a pas beaucoup de discussions, mais elles prennent de l’importance. »
Les quatre chantiers participatifs ont illustré l’esprit d’une Grange ouverte à tous : « Il y avait des proches, des connaissances, et puis des inconnus, qui venaient donner un coup de main. On s’est retrouvés jusqu’à treize, autour d’une grande table au soleil, pour le barbecue. Ces chantiers participatifs, ça se pratique de plus en plus ; beaucoup de lieux culturels font ça. Ça donne de l’énergie, du lien, c’est généreux. »
De cette (re)création, pétrie d’humanité et d’amitiés, Benjamin Flament ressort chamboulé, durablement : « Il y avait des euphories toutes bêtes, quand on a eu l’électricité, le WC, la douche. Tout devient magique. » A côté de la Grange, d’autres pièces ont repris vie, formant un petit dédale, comme la « boutique », connue des Arthelois comme une épicerie fermée depuis des lustres, et qui accueillera une salle de jeux pour les enfants et les adultes.
Au fond de la salle, le bar est surmonté d’une régie, pour le son et la lumière : « On n’avait pas prévu ça au départ. On n’est pas équipé comme un studio, mais cela permettra aux résidents de faire une pré-production. » Avec la campagne sur le seuil, la compagnie imposante du château d’Arthel, les vaches à proximité et le ruisseau qui soliloque au bout du jardin, la Grange de l’Oiseau bleu suscite déjà la curiosité du monde artistique. « On intéresse d’autres structures », se réjouit Benjamin Flament, qui met en avant une autre qualité du site, le soleil s’engouffrant dans la pièce : « Je voulais de la lumière. En résidence, on est souvent dans le noir, et je ne m’y sens pas bien. »
L’inauguration, les 17 et 18 mars, a donné la mesure, pointue et accessible, exigeante et chaleureuse, d’un lieu qui unit l’art à la ruralité. Accompagnée de sa seule guitare, Marion Rampal promène sa voix et emmène le public sur les crêtes des aigus, avec une aisance et une douceur désarmante. A ses compositions folk et blues, succèdent les « chansons tristes » de la Suédoise Isabel Sörling, vocaliste qui atteint l’alchimie entre puissance et fragilité.
Réuni pour la circonstance par Benjamin Flament, le duo complice unit ensuite ses voix sur des classiques, 500 Miles (classique folk francisé par Richard Anthony avec J’entends siffler le train), Love me tender et, en rappel, une bouleversante relecture d’un bonbon pop d’Abba, The Winner takes it all, chanson de désamour dont la mélancolie se révèle nue sans les orchestrations, portée par une mélodie laissée à l’os. L’âme sans le glam.