Retenu parmi les sites pilotes de l’expérimentation nationale Logement d’abord, le Conseil départemental a constitué au printemps 2022 une équipe mobile, composée d’une référente santé et d’une référente sociale, qui va à la rencontre des Nivernais en situation de mal-logement. Des habitants souvent en rupture sociale et sanitaire, aux problématiques enchevêtrées, que le binôme accompagne en douceur avec l’appui essentiel des élus locaux démunis face à ces cas de détresse. Après quelques mois de recul, l’action de l’équipe mobile – l’un des piliers du programme Logement d’abord – est déjà probante.
Maire de Châtillon-en-Bazois, Michel Marie a déjà fait appel à plusieurs reprises à l’équipe mobile Logement d’abord, sur les conseils d’un élu cosnois. « Elles ont fait un sacré boulot, en établissant un lien de confiance avec des gens qui refusent toute aide de notre part », apprécie-t-il. « Face à ces situations, nous les maires, nous sommes démunis, alors que la pauvreté s’étend et que les cas se multiplient. »
La première « mission » est arrivée avant l’été : « J’avais été alerté par les voisins d’un couple qui vivait dans des conditions déplorables, dans le bourg, avec des chiens qui aboyaient sans cesse, et des problèmes d’insalubrité, d’odeurs. Ce sont des gens qui vivaient repliés sur eux-mêmes, avec lesquels il était très difficile d’établir le dialogue. J’ai rencontré l’équipe mobile de Logement d’abord, qui a pu nouer le contact avec le couple grâce à une dame de confiance. » En quelques semaines, la situation qui semblait inextricable a été dénouée : « Le couple a accepté de faire évacuer ses chiens, puis il a fait un inventaire de tout ce qu’il y avait dans son logement, et on a fait venir une benne pour enlever tout ce qui provoquait l’insalubrité. Ce qui est bien, c’est que l’équipe a continué à suivre ces gens. Leur travail nous a beaucoup aidés. »
« Je vois la pauvreté s’installer »
Satisfait, Michel Marie a sollicité l’équipe mobile pour deux autres cas similaires, « un homme qui vit tout seul dans une cabane, et un autre sur un bateau, tout seul lui aussi ». Des ermites précaires, à la santé incertaine, dont le voisinage a signalé la situation en mairie : « Les voisins sont vigilants, heureusement, ce sont eux qui se plaignent ou s’inquiètent. On a un très bon centre social, qui peut aider avec le service de soins à domicile ou le portage de repas ; encore faut-il qu’il ait connaissance de ces cas, et que les gens acceptent d’être aidés. »
En s’appuyant, à chaque fois, sur les élus locaux et des intermédiaires de confiance, les deux référentes ont pu rétablir un lien avec ces habitants en détresse plus ou moins consciente, et éviter que leur situation se dégrade encore plus : « On ne peut pas laisser mourir les gens. La situation était devenue dangereuse pour leur santé. Je suis maire depuis 2020, après avoir été premier adjoint pendant deux mandats, et je vois la pauvreté s’installer, ça va crescendo depuis deux ans. Des gens qui ne mangent pas à leur faim, il y en a de plus en plus souvent. La confiance envers le maire existe encore, dans des communes comme la nôtre (environ 900 habitants, NDLR), on a l’impression que le maire va régler beaucoup de problèmes. La mairie est le premier bureau des pleurs, d’ailleurs notre commission d’action sociale est celle qui est la plus sollicitée. »
En poste depuis le printemps dernier, avec la coordinatrice Isabelle Esteva – dont Catherine Goulot-Martin a pris la suite en octobre –, Maud Chiron, référente santé, et Véronique Gohier, référente sociale, forment un duo aussi rigoureux que joyeusement complice. L’infirmière de formation qui a toujours exercé en psychiatrie et l’assistante sociale expérimentée ont accordé naturellement leurs « compétences différentes et complémentaires », en abordant l’expérimentation Logement d’abord avec la curiosité et l’enthousiasme des pionnières. « Le partenariat avec les maires m’intéressait », explique Maud Chiron, tandis que Veronique Gohier confie « apprécier le travail avec une infirmière ».
Une expérimentation « pensée pour les maires »
Novateur, le principe d’une équipe mobile a été présenté aux maires dans un courrier adressé par Fabien Bazin, président du Conseil départemental. Le binôme s’est ensuite donné pour objectif de rencontrer tous les maires du programme Petites Villes de demain et des communes de plus de 1 500 habitants : « Cela représente 34 communes. Cette expérimentation a été pensée pour les maires, elle a pour but de voir où sont les besoins. Avec le bouche-à-oreille, la demande est croissante. Des maires nous ont contactées spontanément. Où que l’on aille, on a toujours un très bon accueil. Ce travail en amont est très important, on les implique dès le début et on fait un suivi tout au long de l’intervention, avec l’accord de la personne que l’on accompagne, et dans le respect du secret professionnel, qui aide beaucoup dans la relation de confiance. »
« On répond clairement à un besoin »
La création de cette relation de confiance entre l’équipe mobile et les personnes en situation de mal-logement est l’étape cruciale, et la plus délicate à construire : « Quand les gens sont repliés sur eux-mêmes, fermés à tout contact, ce n’est pas rien d’ouvrir sa porte. Ils ont peur du jugement, peur de l’expulsion, peur de l’intrusion, qui peut raviver des mauvais souvenirs de surendettement, de tutelle, ou d’accompagnement social. On n’a pas de grille d’entretien, on les écoute, on reformule beaucoup. On les remercie pour leur accueil, et on essaie de les faire rire, pour dédramatiser l’intervention. Chaque fois, on leur demande s’ils sont d’accord pour nous revoir, et ils sont toujours d’accord. »
Empathique et professionnelle, l’intervention de l’équipe mobile révèle presque systématiquement « un problème psychique, ou psychologique, un problème de santé chronique, une souffrance » qui s’étend, par capillarité, au logement : « On répond clairement à un besoin. Un jour, une personne nous a dit « quand vous êtes là, je revis ». Ce sont des personnes qui sont touchées par une dégradation de leurs conditions de vie, une anxiété croissante, une difficulté d’accès aux soins. On fait un accompagnement très large, dans l’accès aux droits, aux soins, la gestion du quotidien ; on s’appuie sur ce qui existe, le portage de repas, les soins à domicile, et on le leur propose. Une fois que l’on a passé le relais aux services sociaux de la commune et du Département, on reste en veille, pendant un an. »
En complément des dispositifs existants
En décembre, Catherine Goulot-Martin, Maud Chiron et Véronique Gohier sont allées en mairie de La Charité-sur-Loire présenter le dispositif Logement d’abord et l’équipe mobile à Catherine Despesse, adjointe à la solidarité, à la santé et à la vie dans la cité, à Guillaume Gonzalez, responsable du Centre communal d’action sociale (CCAS) et à Selena Marillier, agent de surveillance de la voie publique. « Nous intervenons auprès des gens qui ne sont pas connus des services sociaux, ou qui sont connus mais refusent toute aide. Notre rôle est de créer une relation de confiance pour les ramener vers les services de droit commun », explique Catherine Goulot-Martin.
Le portrait robot des personnes vivant sous les radars de l’aide sociale évoque d’emblée des situations précises à Catherine Despesse, « très intéressée par Logement d’abord » pour nouer un contact : « On a besoin d’un appui car on se sent impuissant. Quand il y a un rejet, un refus de l’aide, un déni, c’est compliqué. C’est peut-être le nom de la ville, La Charité, qui veut ça, mais on voit arriver des gens en difficulté sociale, de région parisienne, qui pensent trouver de meilleures conditions de vie, du travail, dans une petite ville. Et puis on a les personnes suivies en psychiatrie au CHS (Centre hospitalier spécialisé, NDLR), qui ont des logements en ville et qui sont parfois en rupture. Cela se passe globalement plutôt bien. »
Au fil de l’entretien, plusieurs cas évoqués pourraient néanmoins justifier l’intervention de l’équipe mobile, en complément des dispositifs existants, comme PAGODE pour les personnes sans logement ou les Petits Frères des pauvres pour les personnes isolées. Convaincue, Catherine Despesse a avancé l’idée d’une présentation de Logement d’abord au conseil communautaire des Bertranges, afin d’informer tous les élus de la communauté de communes.
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