L’artiste montre au monde ce qu’il ne voit pas ou ne regarde plus. Miettes de peinture, bribes de vie, éclats de vers, fragments d’éphémère : l’exposition « Infime, poésie de l’invisible » rassemble et confronte sur les hauts murs de La Maison, à Nevers, les œuvres de quatre artistes nivernais, Christine Vadrot (peintures), Bertrand Chevalier (poésie), Guy Matchoro (installations) et Jim Roudier (photographies). Une plongée sous la surface des choses du 25 janvier au 5 avril.
Son sourire est le masque frémissant de sa tension. En ce mardi soir de vernissage de l’exposition « Infime, poésie de l’invisible », Bertrand Chevalier regarde les gens regarder. Se pencher sur ses poèmes, déroulés au sol en longues volutes de phrases blanches sur fond rouge, ou imprimés sur les poteaux, serpentant autour des œuvres de Christine Vadrot, Guy Matchoro et Jim Roudier. « C’est une première pour moi », confie l’auteur. « J’ai beaucoup de pudeur. Ces textes, ce sont mes bébés. J’ai de l’appréhension à les montrer. Mais je suis ravi du résultat, de la mise en scène et du mariage avec les autres œuvres. J’attends un retour des spectateurs. Cette exposition est une occasion unique, une magnifique vitrine. »
Pour se tenir chaud dans cette mise en lumière aux airs de mise à nu, Bertrand Chevalier a invité des amis et d’anciens élèves du lycée professionnel Pierre-Bérégovoy (Fourchambault), où il enseigne les lettres et l’histoire, parallèlement à une vie d’écrivain jusqu’à présent discrète. « J’écris depuis très longtemps », explique le quadragénaire. « J’avais arrêté pendant quelque temps, je m’y remets à fond depuis quatre-cinq ans. »
L’édition d’un recueil de poèmes, De l’autre côté du ciel brillent les étoiles, est en bonne voie, mais l’auteur refuse de s’emballer dans cette ultime étape d’un lent processus : « Ces 48 poèmes, c’est trois ans de polissage. Un vrai travail de sculpture. Quand on écrit, il y a une part de deuil à faire, car on détruit beaucoup ; j’ai détruit autant de poèmes que j’en ai écrit. » Une création qu’il accomplit toujours en musique : « Je vais chercher les émotions dans la musique. Un poème, c’est un rythme. » Via un QR Code, les visiteurs de l’exposition peuvent accéder à la bande-songe de cet admirateur de la sainte trilogie des poètes damnés Baudelaire-Rimbaud-Verlaine et de la jeune contemporaine Cécile Coulon, qui revivifie un genre encore en marge, mais où Bertrand Chevalier aime poser ses fêlures : « On ne peut pas écrire de poème si on n’est pas écorché vif. »
Compagnon de route de La Maison depuis quelques années, en tant que professeur missionné par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), le poète est l’une des quatre sources d’inspiration dans lesquelles Christophe Vootz, commissaire des expositions du vénérable vaisseau culturel, a puisé la matière d’« Infime, poésie de l’invisible ». Les toiles de Christine Vadrot, les installations de Guy Matchoro, les photographies de Jim Roudier et les mots de Bertrand Chevalier sont assemblés en un puzzle unique et subjectif, dont les correspondances se tissent dans l’œil du spectateur. Pas d’interprétation téléguidée, mais un bouquet de sensations, un mille-feuille d’univers où l’orange des dents de RIP Ragondin répond au crépitant Electric dont le grand format éclabousse un pan de mur, où une soufflerie fait danser la couverture de survie, image onirique et hallucinée que le génocide rwandais a inspirée à Guy Matchoro.
De l’infime à l’intime, de la loupe au miroir, l’exposition donne à voir les ressorts de la création, qu’elle soit née de « la perte, de la rupture et d’une forme d’après-guerre » pour le peintre et plasticien, d’une envie démiurgique de créer « tout un univers » à partir de grains de peinture pour Christine Vadrot, ou du besoin, pour Jim Roudier, de retirer « un peu de poésie, de spiritualité et de sensualité » d’un quotidien où la mort frappe aveuglément, comme le Rat plat incrusté au bitume comme un absurde tatouage.
Exposition jusqu’au 5 avril. Détails sur www.maisonculture.fr