Habilité en juin 2022, officiellement lancé à l’automne, le Territoire zéro chômeur de longue durée des Portes du Morvan est entré dans le vif du sujet, sans brûler les étapes. Le bras armé de cette expérimentation, l’Entreprise à but d’emploi baptisée Ressources Accompagnement Services, mène de front l’aménagement de ses locaux, la recherche de marchés, le lancement des premières activités, et l’intégration de nouveaux salariés. Avec la solidarité des rescapés du chômage et l’énergie des pionniers.
La page blanche se noircit de ses premières lignes. Dans leurs nouveaux locaux du 42 rue Paul-Barreau – la rue principale de Lormes –, les salariés de l’Entreprise à but d’emploi (EBE) des Portes du Morvan mesurent la vitesse du temps passé et les promesses de la route qui s’ouvre devant eux. Comme un pied-de-nez, leur entreprise s’est donné le nom de RAS, pour Ressources Accompagnement Services. Rien à signaler ? Tout est à écrire, au contraire, à créer, à inventer, pour enraciner RAS dans le paysage des dix communes des Portes du Morvan.
« On peut émettre nos idées, apporter chacun sa petite pierre », apprécie Jean-Claude, entré à l’EBE après avoir « roulé (sa) bosse » et sensible à la philosophie maison : « Tout est à mettre en place, on part de zéro. Et ce qui est bien, c’est que j’ai pu adapter mes horaires à mon petit garçon de 6 ans. On fonctionne en groupe, et l’ambiance est bonne. »
Autour des galettes des Rois, partagées en ce matin du 6 janvier avec les partenaires du Territoire zéro chômeur qui a donné naissance à l’EBE, les sourires fleurissent. « On se motive les uns les autres. Il y a parfois un peu de découragement, mais on se soutient », souffle une salariée en aparté. Vincent Duchateau, président de l’EBE, traduit dans son énergique discours cette conscience d’un état de grâce fragile, à faire durer : « On aura des coups durs, mais on les traversera en restant soudés. N’oublions pas que notre travail fait partie d’une expérimentation qui mènera à une loi sur le droit au travail. Gardons cela à l’esprit pour nous motiver quand nous aurons des coups de mou. »
Après plusieurs années de genèse qui ont mobilisé par dizaines élus et bénévoles, le Territoire zéro chômeur de longue durée a été enfin habilité, peu avant l’été 2022 : « Cela nous a pris énormément de temps et d’énergie, mais c’est une sacrée étape que nous avons passée. On a mis la clef dans le contact et on a enfin fait tourner le moteur. » Le second semestre a vu le recrutement du directeur, Jean-Luc Pillard, et des dix premiers salariés : « 2023 sera consacrée à la sécurisation des activités supports, la comptabilité, les ressources humaines, la formation, l’administratif », poursuit Vincent Duchateau. « Et nous allons stabiliser les premières activités que nous avons démarrées. Le gros challenge, c’est l’intégration des nouveaux salariés ; il y aura quatre personnes en plus tous les trois mois. »
Pour Jean-Luc Pillard, un autre challenge se profile : « Synchroniser les recrutements et le développement des activités. » Passé le cap de l’installation dans les nouveaux locaux, il faut en effet fournir du travail aux salariés. La dynamique s’est lancée, naturellement. Autour de Véronique, un groupe de femmes a customisé des objets récupérés dans deux vide-maisons pour alimenter la boutique éphémère ouverte durant les fêtes dans une pièce : « On a aussi fait le marché de Noël. C’était un moyen de nous faire connaître, et de lancer la trésorerie. »
Le démantèlement d’huisseries issues des chantiers de rénovation a également débuté dans les ateliers de la rue des Teureaux, au confort encore spartiate : « On sépare le verre, le bois, le PVC, pour le recyclage. On est en cheville avec un menuisier, qui stockait les huisseries en attendant que l’on commence », explique Laurent. « D’autres artisans sont intéressés, car ça leur évite d’emmener les huisseries en déchetterie et de payer des taxes. Pour l’instant, on est trois sur cette activité mais on devrait monter en puissance rapidement. »
Confiant, Jean-Luc Pillard assure que l’EBE « a beaucoup de pistes d’activités », alors même que la communication a tout juste débuté : « C’est notre frein principal. On doit faire connaître ce que l’on fait, expliquer notre fonctionnement, mais pour ça il faut des flyers avec un téléphone et une adresse. » Désormais, RAS a son camp de base rue Paul-Barreau, et son directeur peut multiplier les rencontres avec les collectivités, les entreprises, les prestataires, pour « rassurer » sur la non-concurrence des activités de l’EBE et « créer des partenariats ».
Si la rénovation du petit patrimoine des communes, tel que les lavoirs, est une piste privilégiée, qui fait l’objet d’un dialogue déjà amorcé avec la Fondation du patrimoine, Jean-Luc Pillard mise sur le marché du transport des habitants : « Il y a une forte demande, à cause du problème de mobilité dans notre secteur, par exemple pour aller au marché de Corbigny ou au Carrouège à Vauclaix. On se donne trois mois pour tester ce transport, en demandant 3 € par trajet. On étudie aussi la possibilité de faire les livraisons pour Bi1 (le supermarché de Lormes, NDLR). »
La mise à disposition de salariés pour l’ESAT et des artisans a également été testée, avec succès : « On commence à vendre nos services », relève le directeur. L’élaboration de produits ménagers, expérimentée l’année dernière, devrait reprendre, et mobiliser plusieurs salariés. Et si le retour à l’emploi est la priorité de l’EBE, celle-ci veille à assurer aussi d’autres facettes de la remise à flot sociale. Illustration avec un Café numérique, fruit d’un partenariat avec la Mission numérique du Pays Nivernais-Morvan, qui sera ouvert aux salariés et à tous les habitants, chaque jeudi matin à partir de février, dans les bureaux de RAS.