Ce n’est pas un hasard si la première implantation du Centre de santé départemental est prévue à La Machine. En quelques années, la ville du Sud-Nivernais et son bassin de vie ont vu partir les médecins généralistes. Il n’en reste qu’un, dont le départ en retraite est imminent. Face à cette situation, les professionnels de santé du secteur se mobilisent pour pallier les manques et soulager les habitants les plus fragiles.
Tapis rouge déroulé et pétales de rose jetées sur leur passage ? On exagère à peine : les futurs médecins salariés qui prendront leurs fonctions au Centre de santé départemental de La Machine sont attendus comme des messies. La ville de 3 000 habitants et sa couronne de villages vivent en effet, depuis quelques années, une effarante traversée du désert médical. Avec un seul médecin généraliste en activité, l’accès aux soins est devenu un casse-tête pour de nombreux habitants, notamment les plus fragiles, âgés ou isolés.
« Au moins 50 % n’ont plus de médecin traitant ou n’ont plus de médecin stable », explique Johan Hartmann, infirmier libéral, choqué par les situations dramatiques dont il est le témoin. « J’ai vu des gens quasiment mourir parce qu’ils n’ont plus de médecin. Ils temporisent, temporisent, ils ont peur d’aller aux urgences. J’ai perdu une dame comme ça, il y a deux ans, à cause d’une bronchite surinfectée. Quand elle est allée à l’hôpital, parce qu’elle ne tenait plus debout, elle est morte deux jours après. J’ai aussi eu des contacts avec des gens qui ont besoin d’insuline et qui n’ont plus de médecin. On essaie d’orienter, mais ça diffère la prise en charge. »
Dans sa pharmacie de La Machine, Sophie Bernier voit elle aussi les dommages d’un accès aux soins transformé en parcours du combattant : « On a un gros souci avec les renouvellements d’ordonnance. On a une patientèle assez âgée, qui a des traitements chroniques, souvent lourds. Quand ils sont arrivés au bout des renouvellements, ils sont très inquiets ; ils essaient d’aller voir un médecin plus ou moins loin, mais ils n’ont plus vraiment de suivi de leur traitement, et ça pose un souci. »
Pour les habitants les plus isolés, « qui n’ont pas de famille localement et ne peuvent pas se déplacer », l’absence d’un médecin traitant devient dramatique : « On commence à voir des gens qui abandonnent leur traitement et sont dans la nature. Il y en a qu’on ne revoit pas, ou alors au bout de six mois, qui doivent partir aux urgences ou à la Maison des gardes, à Decize. C’est très difficile à vivre : quand on voit des patients diabétiques qui sont sans insuline, ça nous dépasse. »
Système D et solidarité entre professionnels
Les professionnels de santé du secteur machinois ont appris naturellement à s’adapter pour pallier le manque de médecins : « On se transforme en McGyver électroniques pour trouver des solutions, contacter des médecins », souligne Johan Hartmann. « Notre rôle, c’est d’apporter des soins, un confort et surtout la sécurité à tous les patients. » À la tête d’une équipe de sept personnes, Sophie Bernier a elle aussi vu son métier évoluer en douze ans d’activité à La Machine : « On cherche des solutions pour les gens. Ça change notre profession. Ce n’est pas possible que ça continue comme ça. On est complètement dans l’inégalité des soins ; j’ai de la famille qui vit dans des grandes villes, on n’est juste pas égaux. Il faut venir nous aider. La population en a besoin, absolument. Et avec les infirmiers, les kinés, nous sommes une équipe pluridisciplinaire qui s’entend très bien. »
Au même titre que la nature très calme et conciliante d’une population campagnarde qui révère encore le médecin comme un notable de roman de Maupassant, la solidarité entre professionnels est un argument fort pour les candidats à l’exercice de la médecine salariée, selon Johan Hartmann et son associée Émilie Gosse : « L’ambiance est très bonne ici, ça reste très familial. On est prêts à travailler main dans la main avec les médecins, pour le suivi des patients ; on est tout le temps-là, on exerce sept jours sur sept, on est les mieux placés pour le suivi des soins. On peut même donner un coup de main sur une petite chirurgie. Les médecins qui viendront ne seront pas tout seuls. Par exemple, quand un médecin doit venir voir un patient qui a des troubles cognitifs, on lui a tout prémâché : l’historique des traitements est prêt, les ordonnances aussi. On se coupe en quatre pour les patients et pour les médecins. »