Il aurait pu partir dans un département de montagne, par goût. Neversois d’origine, Joffrey Reynaud s’est installé comme médecin à la maison de santé de Saint-Benin-d’Azy, fin 2020. Par choix, « investi d’une mission », l’une des plus nobles qui soient. Soulager les douleurs, apaiser les peurs, éviter le pire, onze heures par jour, sans les gardes. Bénéficiaire d’une bourse d’études du Département, le jeune homme se sent « utile » et engagé pour le long terme dans la Nièvre.
Son meilleur ami, étudiant en sociologie, lui avait parlé de la « diagonale du vide », cette grande tranche de France incluant la Nièvre, éloignée des métropoles et sujette aux déclins en rafale : démographique, économique, industriel, culturel, sanitaire, etc. Originaire de Nevers, Joffrey Reynaud a vraiment « pris conscience » de la réalité du concept depuis son arrivée à la maison de santé de Saint-Benin-d’Azy, en novembre 2020 : « J’ai commencé comme adjoint, je suis devenu titulaire en septembre 2021, après avoir passé mon diplôme. »
Une patientèle passée de zéro à 750 personnes en 18 mois, des demandes qui affluent sans cesse de Nevers et de Decize et qu’il faut refuser car elles sont hors secteur, les patients du secteur de La Machine à reprendre en dernier recours : le jeune homme de 28 ans a mesuré les effets de la désertification médicale, qui ne touche pas que les médecins généralistes. « Il n’y a plus de dermato, on manque de rhumatologues, d’orthophonistes… Il n’y a pas assez de kinés, et ça pose des problèmes pour commencer la rééducation, ce qui provoque une perte de chance pour le patient, et des arrêts de travail très longs. »
Alors, face à l’ampleur des besoins, Joffrey Reynaud empile les heures et les consultations. Sa journée type donne le vertige : « Je travaille de 9 h à 20 h, avec une pause de 20 minutes à midi pour prendre un café. Je vois 25 à 30 patients par jour, et entre midi et deux, je fais des visites à domicile. On prend aussi les urgences d’autres médecins. J’ai une astreinte un samedi matin sur quatre à la maison de santé, et je fais trois ou quatre gardes à la Maison des gardes de Decize, le soir, le samedi ou le dimanche. Quant à mon jour de repos, je le consacre en partie au travail administratif et au traitement des bilans sanguins. »
Le tout fait une semaine de 70 à 80 heures, au bas mot. Un rythme qu’il encaisse sans surprise ni complainte. De fait, ses années d’études à la faculté de Clermont-Ferrand lui ont tanné le cuir : « En médecine, on a une grosse charge de travail dès la première année. Et à partir de la 4e année, on bosse vraiment dur. Les stages sont durs, il y a l’ambiance, le stress, surtout en centre hospitalier. Il m’est arrivé de faire 90 heures par semaine, de rester 36 heures sans dormir. Heureusement, je suis assez résilient. »
Extrêmement motivé, aussi, et attaché à son département. « Si je n’avais pas eu mon ancrage dans la Nièvre, je ne serais sans doute pas venu travailler ici, je serais parti dans un département de montagne, le Jura peut-être. Pendant mes années d’internat, j’ai fait beaucoup de stages dans des hôpitaux, dans des cabinets du Puy-de-Dôme et de l’Allier. Mais dès le début de l’internat, j’ai eu envie d’aller dans la Nièvre. Mon père m’a dit qu’il aimerait me voir revenir ici, et j’ai fait un stage chez le Dr Lemoine, à Nevers, ce qui a renforcé mon choix, de même que la bourse d’études du Conseil départemental pour mes deux dernières années. »
En contrepartie de cette aide, Joffrey Reynaud « doit » deux années d’exercice dans la Nièvre. « Je m’engage ici pour le long terme. Je me sens utile, investi d’une mission », affirme-t-il. « Et j’aime beaucoup plus la mentalité rurale. Les gens sont plus naturels, plus simples, ils encaissent aussi beaucoup plus la douleur ; en ville, je faisais beaucoup plus de bobologie. Et à la campagne, il y a encore un respect de la fonction de médecin, de professionnel de santé, on est moins considéré comme un service. Et puis il y a la tranquillité, l’immobilier… »
Pour autant, la figure emblématique du médecin de campagne seul en son cabinet comme un gardien de phare ou un prêtre de Bernanos n’a jamais fait rêver celui qui ne concevait son installation qu’en maison de santé pluridisciplinaire : « J’ai toujours voulu être dans une équipe, avec des infirmières, des kinés, pour pouvoir échanger, partager nos questionnements. Et tous les étudiants que j’ai fréquentés veulent travailler en groupe. »
Dans l’air du temps, la tentation d’obliger des étudiants à fixer leur plaque dans les déserts médicaux ne convainc pas Joffrey Reynaud : « Quand on a fait 10 ou 12 ans d’études durant lesquels on a sacrifié sa vie, s’entendre dire « on va vous obliger », ce n’est pas la solution. Il vaut peut-être mieux déconventionner ceux qui veulent s’installer dans une zone où il y a déjà beaucoup de médecins. Et proposer des aides à l’installation (la communauté de communes lui a accordé une aide 5000 € pour financer ses achats de matériel, NDLR). Les collectivités peuvent aussi aider le médecin à trouver un travail pour le conjoint ; la plupart des étudiants ont commencé à faire leur vie, ils ont parfois des enfants. Quand on s’installe, on n’est pas seul à choisir. »