Trente-cinq ans après, le Théâtre du Caramel fou boucle la boucle. Née à la Maison de la culture de Nevers en 1987, la troupe de Jean-Luc Revol ouvre en grand la malle aux souvenirs pour une exposition rétrospective d’un « chemin de théâtre » buissonnier, inclassable et amoureux. Costumes flamboyants, accessoires, décors, affiches, documents, photos, vidéos – et même un authentique Molière – jalonnent cette histoire loin d’être achevée.
Sans les expositions, le hall de La Maison serait un « grand couloir sinistre » que Christophe Vootz se plaît à maquiller d’art et de surprises, de ses immenses murs jusqu’en ses moindres recoins, depuis plusieurs années déjà. Avec la satisfaction de voir venir et revenir un public de plus en plus important à chaque rendez-vous. « On a repris la tradition des expositions, qui avait été abandonnée. Je trouve que ce bâtiment est beau, qu’il offre des possibilités incroyables. J’aime bien proposer de la diversité. J’ai envie de provoquer la surprise, comme il y a un an en passant d’une très grande dame de la photographie, Sabine Weiss, à une jeune artiste, Jennifer Delplanque, dont l’œuvre est déjà très forte », explique le commissaire des expositions de La Maison devant sa dernière « création », TCF / Compagnie Jean-Luc Revol – Un chemin de théâtre.
Inaugurée le 29 septembre, une semaine pile avant la première de la nouvelle pièce du Théâtre du Caramel fou (TCF), Le Chevalier et la Dame, dans la Grande salle de La Maison, l’exposition musarde dans les 35 ans d’existence de la troupe créée par Jean-Luc Revol, alors jeune comédien, « pour (se) professionnaliser ». « On était quatre ou cinq jeunes un peu foufous. On a choisi le nom de Caramel fou pour rigoler, ça se faisait beaucoup à l’époque pour les noms des compagnies », se souvient-il avec une tendresse magnanime pour ce nom qui colle comme un chewing-gum à la semelle : « On ne pouvait plus le changer. Quand on monte des dossiers, on met « TCF », ça fait plus sérieux. »
La fantaisie et l’imprévisibilité sont pourtant les deux seules règles que suit la compagnie depuis 1987 : « Je n’ai pas envie qu’on me mette dans une case. Je ne suis pas carriériste : tout ce que j’ai fait, je l’ai fait par envie, au gré des rencontres. Je suis complètement en paix avec moi à ce sujet. »
La rétrospective, pour laquelle Jean-Luc Revol a laissé carte blanche à Christophe Vootz, met en avant la moitié de la cinquantaine de spectacles créés par le Caramel fou : « J’ai voulu proposer une espèce d’instantané, une image de la compagnie », précise le scénographe. « Il y a des trous, parce que des décors et des costumes ont disparu, mais c’est une des plus grosses expositions de La Maison, avec 47 costumes, des extraits vidéo de 17 pièces, des accessoires, etc. Elle retrace un travail disparate mais extrêmement cohérent dont la ligne directrice est la surprise. »
La fidélité est l’autre marque de fabrique du metteur en scène, qui cultive un « esprit de troupe » avec Sophie Jacob (scénographie), Philippe Lacombe (lumières) ou Pascale Bordet (costumes), qui a pris la suite d’Aurore Popineau, à l’œuvre pendant plus de 20 ans pour traduire en étoffes, dentelles, perles ou paillettes les fantaisies de Jean-Luc Revol : « Que ce soit pour les décors et pour les costumes, j’ai toujours eu le souci du travail bien fini. » L’exposition révèle le soin extrême apporté à chaque tenue, une obsession partagée avec Aurore Popineau, notamment : « Comme elle me disait souvent, « le premier rang voit le détail ». »
Eblouir, séduire, embarquer le spectateur dans le carrousel d’un monde parallèle, plus grand que le nôtre, telle est la folle recette du Caramel fou, la seule que goûte le créateur de la compagnie, d’ailleurs : « J’essaie d’avoir l’œil le plus curieux possible, de ne pas appliquer de recettes. J’ai commencé par mettre en scène des textes méconnus d’auteurs connus, puis je suis allé vers le music-hall, le cabaret, le contemporain. » Froufroutant de strass, plumes et paillettes, son Cabaret des hommes perdus (de Christian Siméon) lui a valu en 2006 le Molière du spectacle musical, sobrement exposé près des flamboyantes tenues de la pièce.
Sa « fibre anglaise », qui l’a mené jusqu’en maîtrise et à un éphémère poste de prof au collège des Courlis, l’a incité à s’attaquer à Shakespeare (La Tempête, Hamlet, Le Roi Lear). Sans pour autant être fasciné par les chefs-d’œuvre marmoréens du répertoire : « Sur Tartuffe, qu’est-ce que je vais raconter de plus ? Je n’ai pas envie de monter Les Femmes savantes en jogging, ou Shakespeare en slip. Le Roi Lear, je l’ai transposé à l’époque de la crise de 1929, et je me suis fait pourrir… »
Se replonger dans l’histoire de la compagnie donne à Jean-Luc Revol une sensation de vertige : « Avec le recul, on ne voit que les défauts. Je suis hyper critique. Mais il y a aussi de grands souvenirs, comme La Tempête ou Dorothy Parker (Les Heures blêmes, 1995, NDLR) » Dans cette ambiance d’inventaire, entre expo, livre d’entretiens (1) et documentaire signé WebTV doc, Jean-Luc Revol préfère regarder devant, vers la création achevée du Chevalier et la Dame, l’adaptation du Jour du chien, de Caroline Lamarche (« cela fait un moment que je tourne autour ») ou des farces du Moyen Age pour la Tournée d’alimentation générale culturelle 2023. A 62 ans, le temps de l’intranquillité n’est pas encore perdu.
1. Jean-Luc Revol, l’art du partage, par Frédéric Chevaux (éditions L’avant-scène théâtre).