Créées en 2001, dans la dynamique du « 32 + 32 = 2000 » de Jean Bojko, les Conviviales de Nannay brassent sans façons le documentaire, l’art et la ruralité, chaque fin d’août. La vraie salle de cinéma du village et le chapiteau accueillent des projections qui se prolongent en débats – et parfois en silences lestés d’émotions – autour d’un verre ou d’un repas. Une formule qui séduit : plus de 3 000 spectateurs sont attendus pour la 21e édition qui s’achève samedi 27 août.
Les œuvres qui transforment le bourg de Nannay en musée à ciel ouvert sont la bande annonce des Conviviales. Conjuguant art, cinéma documentaire et ruralité, le festival ajoute chaque année les productions, réalisées in situ par les artistes invités, à l’impressionnante galerie dont la contemplation distraie le regard des automobilistes dans la traversée du village bordé par la N151, entre La Charité-sur-Loire et Châteauneuf-Val-de-Bargis.
Voilà plus de vingt ans que les Conviviales embarquent Nannay dans leur folle aventure de festival aux champs. La présence du cinéma dans une commune de 120 habitants qui a vu fermer son école en 1946 n’a pourtant rien d’incongru, ni d’artificiel. A l’origine, Bernard Seutin rembobine le film bien plus loin, à 1972. Celui qui est aujourd’hui maire de Nannay était alors un ado biberonné au ciné-club de son collège et de son lycée : « Ce sont les profs qui nous ont donné le virus. Alors quand le cinéma de La Charité a fermé, on a eu l’idée, avec quelques copains du village, de créer un cinéma à Nannay. » Avec le culot de ses 18 ans, il va présenter au conseil municipal le projet : transformer la classe désaffectée de l’école des filles en salle de ciné. « Mon père était le maire, à l’époque. Les élus étaient d’accord, à deux conditions : ils ne voulaient pas être emmerdés, et ils ne voulaient pas que ça coûte un rond à la commune. »
Un drap au mur en guise d’écran, un projecteur de circuit, et c’est parti : « Pour notre premier film, Le Triporteur, 150 personnes sont venues. » Depuis ce jour, entre Nannay et le cinéma, c’est à la vie à la mort. A la vie, surtout. Le village entre dans une nouvelle dimension en 2001, après avoir participé à « 32 + 32 = 2000 », l’une des fantaisies poético-politiques de Jean Bojko et de son TéATr’éPROUVèTe : « On avait été mariés à un plasticien, François Davin, et ça avait bien fonctionné. Jean Bojko nous a incités à faire quelque chose avec l’art, le cinéma et la ruralité. On ne voulait pas un festival comme les autres, on voulait que ce soit convivial. C’est comme ça que sont nées les Conviviales. »
Projections dans la salle aux 57 places transfigurée de frais grâce à 60 000 € de travaux en trois ans ou en plein air sur les 150 chaises serrées sous un chapiteau rustique, expositions, créations, et surtout débats à jets continus après chaque documentaire ou fiction, autour d’un repas et des produits du cru – bières, côtes-de-la-charité, fromages, etc. : la formule des Conviviales séduit, et bien au-delà des Bertranges. « On a dépassé les 4 000 entrées en 2019 », souligne fièrement Bernard Seutin, qui a transmis le flambeau de la présidence de l’association organisatrice Ni Vu Ni Connu à Jérémie Barrault, en décembre dernier. En douceur : « Je suis arrivé à Nannay il y a dix ans et je suis devenu bénévole et secrétaire de l’association. Ce n’est pas moi qui l’ai intégrée, c’est elle qui m’a intégré », sourit le président zen, dont le bataillon de 50 bénévoles fait tourner sans à-coups la belle mécanique bien rodée, avec son premier chapitre « hors les bois » dans trois communes des Bertranges (Chasnay, La Marche et Guichy cette année du 12 au 14 août) avant de dérouler la suite et fin à Nannay (20-27 août).
Venu en voisin présenter en avant-première son court poème visuel Tellurique, inspiré par le site gallo-romain de Compierre, Jean-Christophe Boucher est un fidèle du festival : « Ce qui me plaît, c’est le brassage, il y a un public extrêmement divers, plein de gens qui auraient plein de raisons de ne pas se supporter mais qui se parlent, qui débattent. Il n’y a pas de chichis, on est hors show-biz, on est dans la proximité, l’humain. »
Travaillant main dans la main avec des festivals dédiés au documentaire, les Conviviales mettent en lumière ce genre mal-aimé, sous-diffusé au cinéma, dont la qualité et la vitalité ne cessent de charmer Bernard Seutin et Jérémie Barrault : « On a eu de jolies découvertes, des rencontres extraordinaires avec des réalisateurs. »
L’équipe reçoit chaque année 300 à 400 films à visionner, et en garde 30 à 40 pour le festival : « On met aussi un peu de fiction pour avoir un peu de légèreté. Quand on a une édition sur le thème du suicide des agriculteurs ou sur la désertification médicale, c’est bien d’avoir un peu de respiration. »