Il s’est lancé seul avec son camion et son CAP, à 24 ans. Vingt-huit ans plus tard, Eric Rousseau dirige depuis Clamecy un groupe de 550 salariés, dont plus de la moitié basés dans la Nièvre. Une croissance spectaculaire mais raisonnée que l’ancien rugbyman a menée en misant sur l’esprit d’équipe.
Ni plus grand ni plus feutré. Les mêmes parois vitrées. Le bureau d’Eric Rousseau ne se distingue pas des autres au premier étage du siège de son groupe, dans la zone industrielle de Clamecy. Seule touche intrigante, l’alignement de semi-remorques miniatures sous la fenêtre rappelle une vocation d’enfance : « J’ai toujours été passionné de camions. Conduire, c’est le seul métier que je voulais faire. » A 17 ans et demi, CAP Conducteur en poche, il entre aux Transports Guiltat, à Corvol-l’Orgueilleux : « J’ai bourlingué partout en Europe, je suis entré à Berlin juste après la chute du Mur. C’était passionnant. »
Le goût d’entreprendre bouleverse sa trajectoire. En 1994, à 24 ans, Eric Rousseau crée son entreprise « dans un petit local à Corvol », avec « son » camion, un G340 Renault. Son premier client, Intermarché, est rapidement rejoint par des entreprises locales. Son Minitel 5 chauffe sous les commandes : « En 1998, on est 20 salariés. L’année suivante, je rachète les Transports Malleret, d’Entrains-sur-Nohain. Fin 2000, on est 60. » La croissance est « linéaire », mais soutenue : « Elle a été interne jusqu’en 2015. Depuis, elle est externe. »
Avec l’acquisition de deux sociétés en 2021, dans l’Yonne et près de Bordeaux, le groupe Rousseau rassemble aujourd’hui 550 salariés, dont presque 400 chauffeurs, et des implantations de l’Aquitaine au Pas-de-Calais en passant par Bourges et Clermont-Ferrand, sur la fémorale des flux Paris-province. « On est des multispécialistes, pas des généralistes. On a développé des expertises dans plusieurs métiers, avec une grosse division frigos, des bennes. On fait de la distribution, du stockage, de la logistique, avec une qualité premium », s’enthousiasme le jeune quinquagénaire nullement complexé par son CAP : « On se forme et on s’entoure de compétences. Le secret, c’est l’équipe. Et faire partager le projet, pour que les gens puissent s’y impliquer et s’y épanouir. »
Le faible turnover parmi les « compagnons » est un motif de fierté, au même titre que l’adaptation aux évolutions du métier, qui reste « beau » et lui procure le même plaisir quand il remonte dans un camion pour prendre la route : « J’ai perdu mon frère l’an dernier. J’avais besoin de m’aérer. » La douleur du deuil, déjà subie il y a sept ans avec le décès de son épouse, a aiguisé sa conscience de la fragilité des choses : « S’il m’arrive une tuile, je veux assurer la suite pour les compagnons. J’ai voulu mettre l’entreprise en sécurité, tout en continuant le développement. C’est une marche en avant, pas une fuite en avant. »
Sa fille Jade, 23 ans, termine ses études en école de commerce en s’immergeant dans l’entreprise : « Ce n’est pas une pression pour elle. Ça prendra le temps qu’il faut. Et si un jour je me sens de trop, je me mettrai sur la bande d’arrêt d’urgence. Mais j’ai un tas de choses à faire, je veux encore travailler vingt ans. »